segunda-feira, 29 de agosto de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Les hommes enceints doivent-ils combattre le patriarcat du barbecue ?

Valérie Toranian

Le voyage de Macron à Alger, la taxation des superprofits, la crise de l’énergie, la guerre en Ukraine ? Au diable les sujets frivoles. Penchons-nous sur les sujets de fond qui passionnent l’humanité depuis la plus haute Antiquité : le sexe, la viande rôtie, et l’art d’accommoder les deux.

Les propos de Sandrine Rousseau, députée d’Europe Écologie Les Verts (EELV) de Paris, dimanche à Grenoble lors d’une table ronde, ont enflammé la toile : « Il faut changer aussi de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité. »

Immédiatement la classe politique aussi chauffée qu’un alignement de merguez sur le gril a ouvert le feu. À droite, on vitupère contre une énième atteinte aux droits des hommes à jouir du barbecue en paix et à faire profiter toute leur petite famille des joies de la grillade. À gauche, on critique une vision socio-culturelle genrée de la nourriture en s’appuyant sur des données qui sont exactes : statistiquement, le « viandard » est un homme. À noter : Fabien Roussel, qui avait défini, dans un fameux tweet électoral, la gastronomie française comme « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage » n’a pas renchéri. Depuis que le communisme s’est dissous dans la Nupes, la viande rouge n’est plus en odeur de sainteté ?

Mais le vrai débat n’est pas là. La phrase de Sandrine Rousseau est beaucoup plus ambiguë qu’il n’y paraît. Si manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne doit plus être un symbole de virilité, cela signifie-t-il que manger une entrecôte doit devenir un symbole mixte ? Qu’il faut « viriliser » l’assiette des femmes ? Que la vraie égalité sera réalisée lorsque les femmes avaleront autant de côtelettes grillées que les hommes ? Voilà une approche universaliste dont on suspecte qu’elle n’est pas la tasse de thé de Sandrine Rousseau.

« Pour les néo-féministes, la viande est le symbole obsolète d’une virilité patriarcale occidentale hétérocentrée. Il faut donc la supprimer à ce titre. »

Non, la viande est le symbole obsolète d’une virilité patriarcale occidentale hétérocentrée. Il faut donc la supprimer à ce titre. La viande obsède depuis longtemps le néo-féminisme. Une thèse largement reprise par les médias avait même asséné il y a quelques années que si les femmes étaient plus petites que les hommes, c’était parce qu’elles avaient été privées de protéines (viande) et réduites à manger des féculents et des bouillies qui les rendaient petites et grosses, par des hommes qui se gardaient le gibier. Une théorie battue en brèche par les anthropologues et les spécialistes sérieux de l’évolution mais qui a fait florès notamment parce qu’elle était défendue par une disciple de Françoise Héritier et qu’elle correspondait à la radicalisation féministe dans l’air du temps.

Mais pourquoi Sandrine Rousseau ne dit-elle pas tout simplement que la viande rouge est cancérigène (lorsqu’elle est carbonisée notamment) tout comme la charcuterie et pourquoi ne pas prôner une alimentation plus saine pour les deux sexes ? Parce que cela induirait qu’il y a deux sexes biologiques et la postmodernité progressiste nous a ouvert les yeux sur ce principe rétrograde.

D’ailleurs, on s’étonne même que la députée EELV évoque la virilité comme si elle était tout d’un bloc. Les hommes à vulve (hommes trans) aiment le quinoa. Et les femmes à pénis (femmes trans) ont bien le droit de savourer des chipolatas. Assigner la saucisse à un sexe, voire même à un genre, quelle hérésie !

Heureusement le Planning familial veille contre les forces obscurantistes. Son affiche pour proclamer que « les hommes enceints sont les bienvenus » remet les pendules à l’heure… d’Ubu roi.

Que le Planning accueille sans discrimination, y compris les personnes trans, on l’en félicite. Qu’il fasse la promotion de l’homme enceint en illustration d’un lexique trans destiné à dicter les nouvelles normes idéologiques du langage inclusif, voilà qui va bien au-delà de ses prérogatives. Morceaux choisis : « La définition consensuelle des personnes bi » comme « personnes attirées par les hommes et les femmes » est « binaire », et à ce titre « transphobe ». Si vous vous définissez comme une femme bi, attention vous êtes transphobe… Pareil si vous êtes un homme gay ou une femme lesbienne. Ce sont des termes « souvent ciscentrés » (vous êtes cis si votre genre correspond à votre sexe de naissance). Le lexique précise : « Il est important de comprendre qu’un couple de lesbiennes peut, par exemple, être composé d’une femme cis et d’une femme trans, ou qu’un homme gay peut avoir une vulve. »

« Fer de lance du féminisme lors de sa création, le Planning familial est devenu le chantre du respect des pratiques culturelles qui sont à l’opposé des droits des femmes. »

Le Planning familial poursuit la dérive entamée il y a quelques années avec la fin de la promotion de l’émancipation des femmes et sa conversion au relativisme culturel. Fer de lance du féminisme lors de sa création, il est devenu le chantre du respect des pratiques culturelles qui sont à l’opposé des droits des femmes. Les mariages forcés, les excisions, l’obligation de virginité pour les filles, l’homophobie dans les quartiers : tout cela ne le concerne plus vraiment. Lutter contre la transphobie est devenu son nouvel axe de combat et de communication. Rappelons qu’il bénéficie d’une subvention publique de 270 000 € par an. Doit-on accepter que ce budget, conçu à l’origine pour assurer le droit à l’IVG pour toutes celles qui le souhaitent, serve à la promotion d’un combat idéologique ? Ce combat se mène notamment contre les lesbiennes qui osent clamer haut et fort qu’elles sont des femmes, que le sexe féminin existe, que l’homme enceint n’existe pas et qui veulent pouvoir refuser de coucher avec des personnes à pénis se proclamant lesbiennes sans qu’on les traite de fascistes…

Albert Camus disait que mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. De nos jours, bien nommer les choses peut vous faire mettre à l’index (il est interdit de dire qu’un homme enceint n’existe pas) et peut même vous conduire en prison. En Norvège, Christine Ellingson, militante féministe, risque trois ans d’emprisonnement. Son tort ? S’être opposée sur Twitter à Christine Marie Jentoft, militante trans (biologiquement homme) qui se définit comme femme lesbienne et qui est même porte-parole d’une association lesbienne. Christine Ellingson a twitté qu’elle ne comprenait pas cette étrange idée qu’un homme puisse être une femme lesbienne. Et encore moins qu’une association lesbienne choisisse comme porte-parole un homme biologique. Plainte a été déposée contre elle. La loi norvégienne a en effet introduit en 2021 la notion d’identité de genre dans la définition des crimes haineux donnant droit à des poursuites. Désormais, dire que seules les femmes accouchent ou qu’il existe des sexes biologiques peut être considéré comme propos transphobes, donc haineux.

Bien nommer les choses, c’est forger son propre malheur. La négation du réel a gagné. On tord la réalité au nom de la morale et du bien. On nie l’existence du sexe biologique, expression même du « fascisme » pour les néo-féministes intersectionnels et décoloniaux. Dire que ce sont les mêmes qui sont obsédés par les races et qui scrutent le degré de mélanine de chaque être humain pour déterminer s’il est un dominé racisé ou un dominant blanc…

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 29-8-2022

Photo : Affiche de publicité du Planning familial, créée par @Laurier_the_Fox

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