Valérie Toranian
Le compromis, est-ce du courage ou de la lâcheté ? Un Allemand ou un Italien répondrait du courage… et beaucoup de sueur. Un Anglais dirait que le compromis est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres. Un Américain trouve absolument naturel que son député ne vote une loi que s’il a négocié, en contrepartie, une mesure intéressante pour les administrés de son État. Le Français, lui, est hanté par le spectre de la compromission. Notre pays révolutionnaire n’a pas la culture du compromis, se lamentent nos hommes politiques. Qui ont par ailleurs sacralisé l’idée de l’intransigeance et du front républicain contre l’extrême droite… mais pas contre l’extrême gauche : les idées radicales sont toutes égales, mais certaines sont plus égales que d’autres.
Doit-on être intransigeant sur
ses principes dans tous les domaines ? Ou conciliants et prêts au compromis ?
Le bon sens nous souffle que cela dépend du sujet. On pourrait faire des
efforts de part et d’autre sur le pouvoir d’achat ou la réforme des retraites.
Et pas sur la laïcité, dont on pense qu’elle fait partie de nos vertus
cardinales. Bizarrement, on assiste depuis plusieurs années à l’inverse. La
laïcité renégociée, « inclusive », est à la mode. La laïcité tout court,
c’est-à-dire fidèle aux origines, est quasiment devenue une insulte :
intransigeante, identitaire, réactionnaire, quasi fasciste… Rogner la laïcité,
relativiser son principe, c’est être moderne et tolérant. L’idée de faire des
concessions sur la réforme des retraites, en revanche, est devenu un point de
rupture, une impasse, un blocage.
« La motion de censure ne
servait à rien, mais depuis quand la politique de l’extrême gauche doit «
servir » à quelque chose ? Elle est une force d’empêchement. Trotskyste un
jour, trotskyste toujours. »
Autre exemple, l’égalité : son principe est inscrit au fronton de toutes nos écoles. Donner ses chances à chacun est l’essence même du programme républicain. Mais le refus idéologique de l’excellence au nom d’un égalitarisme intransigeant a conduit à creuser le fossé entre les plus privilégiés et les plus démunis. L’enseignement public s’effondre, les plus riches envoient leurs enfants dans le privé, en commençant par le ministre de l’Éducation nationale. La méritocratie offrait plus de chances aux plus pauvres. Mais c’est devenu un gros mot. L’obsession de la défense de nos valeurs est un paradoxe : on n’en a jamais autant parlé et on ne s’est jamais aussi peu accordé sur le sens à leur donner.
Elisabeth Borne affrontait cet après-midi la motion de censure
de la Nupes, rebaptisée motion de défiance. La défiance est un principe.
L’obstruction, une vertu. Plus une posture est inutile, plus elle est noble. La
motion de censure ne servait à rien, mais depuis quand la politique de
l’extrême gauche doit « servir » à quelque chose ? Elle est une force
d’empêchement. Trotskyste un jour, trotskyste toujours.
La France insoumise se moque
d’être « débraillée ». Elle est « venez comme vous êtes », le slogan de
McDonald’s. Alexis Corbière devrait se souvenir que son maître politique, Maximilien de Robespierre, montait à la tribune de la
Convention avec sa perruque poudrée, vestige aristocratique de l’Ancien
Régime. La Nupes est tonitruante, elle assume de se donner en
spectacle, de bloquer les débats, de faire le show. Les « ennemis » du peuple
se nomment Macron et Borne et on ne va rien faire pour les aider. En politique,
le « toujours plus » est l’ennemi du « c’est déjà bien ». Mais comment oser
faire des compromis alors qu’on s’érige en voix du peuple ? Le peuple est
sublime, le peuple est tout, le peuple ne fait pas de marchandage. Bref, le parti de Mélenchon aurait tendance à privilégier le
niveau sonore de ses interventions plutôt que le niveau de vie de ses
électeurs.
« Emmanuel Macron a fait un
contresens. Il a cru qu’il rassemblerait une majorité autour de sa personne
(péché d’arrogance) plutôt qu’autour de son programme. D’ailleurs, quel
programme ? Il s’est trompé. Sa personnalité ne fait plus consensus et les deux
tiers du pays, soit ne vote pas, soit vote contre lui. »
La voix, voilà ce qui compte.
On aime l’éloquence, les tribuns (Ah… Mélenchon). Comme si on confondait avoir
du coffre et avoir des idées. Elisabeth Borne, se lamente-t-on, est sans
charisme, inodore, insipide, sans saveur, elle parle comme un robot. Elle n’a
sûrement pas gagné le prix de charisme, mais elle n’a pas failli lors de son discours de politique générale,
le 6 juillet. Elle avance sur sa ligne tout en promettant de faire des
compromis, sauf avec l’extrême gauche et l’extrême droite. Elle a des sourires
en coin. Elle ironise, à juste titre, sur « les questions cons » des
journalistes. Macron devrait se méfier. Les bonnes élèves ne sont pas des
boute-en-train, mais elles détestent perdre. Elles s’obstinent et progressent.
Pas avec la flamboyance du lièvre mais avec l’obstination de la tortue.
Emmanuel
Macron a fait un contresens. Il a cru qu’il rassemblerait une majorité
autour de sa personne (péché d’arrogance) plutôt qu’autour de son programme.
D’ailleurs, quel programme ? Il s’est trompé. Sa personnalité ne fait plus
consensus et les deux tiers du pays, soit ne vote pas, soit vote contre lui.
Avec Elisabeth Borne, le président s’est peut-être imaginé qu’il déléguerait
les tâches ingrates à une « techno » et continuerait à macroner avec Alexis
Kohler, les yeux dans les yeux, dans leur tour jupitérienne. Mais Elisabeth
Borne pourrait être une pierre dans son olympe. Elle ne serait pas la première
des chefs de gouvernement maltraités. Rocard, Fillon, Chirac : tant d’autres
ont subi le même sort. Mais le mépris dont elle est l’objet pourrait la
stimuler.
« Pendant que l’extrême gauche
espère rallier la France à son intransigeance, les députés du RN, cravatés
et silencieux, attendent leur heure. Ils sont ceux qui pourraient tirer le plus
de profit du chaos qui règnera à l’Assemblée. »
L’objectif de la France
Insoumise est de la dégager. Par son obstruction systématique, l’extrême gauche
peut bloquer le travail de l’Assemblée. Mélenchon et ses clones rêvent d’une
dissolution et de nouvelles élections législatives qui, enfin, leur donnerait
une majorité à l’Assemblée. Ils rêvent debout. Les dernières élections ont
prouvé que les Français avaient préféré faire sauter le barrage républicain
contre le Rassemblement national, dans de multiples circonscriptions, plutôt
que de se soumettre aux Insoumis. C’est Mélenchon qui a fait sauter le barrage
républicain, souligne Marcel Gauchet dans Le Figaro. Pendant
que l’extrême gauche espère rallier la France à son intransigeance, les
députés du RN, cravatés et silencieux, attendent leur heure. Ils sont ceux qui
pourraient tirer le plus de profit du chaos qui règnera à l’Assemblée.
Car contrairement à ce
qu’écrit Le Monde, ce n’est pas parce que certains médias ont
ouvert leur porte à l’extrême droite, qu’ils l’ont fait progresser. La droite
populiste progresse en France depuis 40 ans, indépendamment du traitement
médiatique. En revanche, les médias du camp du bien ont indéniablement
contribué à la dédiabolisation de l’extrême gauche depuis des années. Jusqu’à
faire passer l’extrême gauche pour la gauche. Mais les Français ne sont pas
dupes de la Nupes. Entre le rejet de « l’arrogance » macronienne et la méfiance
envers le programme foutraque de la France insoumise, le Rassemblement
national, normalisé, respectabilisé, cravaté, apparaîtra de moins en moins
comme une option impossible. La bascule aura-t-elle lieu en 2027 ? Et le RN
pourra dire merci à la Nupes. Ce sont tous ces enjeux qu’Elisabeth Borne aura
en tête et devra affronter. Un poids bien lourd pour une « techno sans charisme
». À bord d’un radeau de la macronie en perdition. À moins que…
Titre et Texte: Valérie Toranian,
Directrice de la Revue des Deux Mondes, lundi, 11-7-2022
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