Mathieu Bock-Côté
Il existe un rapport asymétrique à la violence politique, selon qu’on l’associe à ce qu’on appelle la droite ou à celle qui s’appelle la gauche. La violence de la première est unanimement condamnée : elle serait en elle-même factieuse, la seconde est tolérée, ou même encouragée, lorsque les circonstances l’exigent.
Les rencontres internationales
se multiplient, d’ailleurs, pour mettre en garde les sociétés occidentales
contre les violences « racistes », « sexistes » ou « transphobes » : on parle
des violences d’extrême droite – en France, on préfère parler d’ultra-droite,
mais la distinction, globalement, relève de la nuance sémantique. Apparemment,
elles représenteraient la première menace à la sécurité intérieure. Partout
dans le monde occidental se constitueraient des groupes suprémacistes prêts à
s’en prendre aux gouvernements, ou du moins, aux minorités (1).
Il n’est pas interdit de
croire que cette narration souvent théâtrale d’une insurrection à venir serve à
relativiser par effet de contraste la violence islamiste, souvent ramenée, par
le génie du système médiatique, à une série de faits divers sans trop de liens
entre eux, ou relevant alors de dérèglements psychiatriques graves, et se
dérobant, pour cela, à l’analyse politique.
La dénonciation de la violence d’extrême droite n’est pas centrée exclusivement sur les actions des groupes qui appartiendraient à cette mouvance. Sont dénoncés avec tout autant de vigueur les « discours haineux » qui lui créeraient un terreau favorable : il s’agit dès lors de désigner à la vindicte publique les intellectuels, les éditorialistes, les chroniqueurs, les polémistes, les écrivains s’éditant à compte d’auteur, mais aussi les partis qui tiendraient de tels discours.
On plaidera aussi pour la mise en place de lois pour criminaliser ou du moins pénaliser juridiquement de tels discours – on peine toutefois à caractériser le discours haineux, sinon à la manière d’un propos critiquant marquant un clair désaccord avec ce qu’on appelle aujourd’hui les revendications minoritaires. Par exemple, s’opposer à la disparition des sexes dans les formulaires administratifs de l’État ou contester l’idéologie trans voulant qu’un homme puisse devenir une femme (ou l’inverse) sera potentiellement interprété comme un discours haineux, favorisant des gestes haineux. Le discours haineux, ainsi défini, devient en lui-même un acte de violence poussant à la reconduction d’un ordre social discriminatoire fondé sur la persécution des différentes minorités (2).
«
La violence de gauche prend aussi le visage de la foule lyncheuse woke, très
présente sur les campus américains, qui rassemble moins des militants qu’une
masse mutante d’individus hystérisés idéologiquement »
Il n’en est pas de même de la
violence de gauche. Celle des antifas est probablement la plus visible
aujourd’hui. On notera d’abord qu’il s’agit d’une violence revendiquée,
assumée, théorisée, comme on peut le constater en s’aventurant dans les écrits
des intellectuels antifas, souvent publiés par des maisons d’édition que l’on
juge recommandables.
Les antifas l’expliquent sans
gêne : ils font de la violence un instrument nécessaire dans la construction
d’un dispositif inhibiteur décourageant l’expression d’idées qu’ils jugent «
fascistes » dans nos sociétés – le problème étant évidemment que le fascisme,
dans leur perspective, est assimilable à toute forme de conservatisme, de
patriotisme, et plus largement, à toute forme de résistance ou de scepticisme
aux revendications auxquelles ils s’associent. Ils multiplient les attaques
contre les conférenciers jugés réactionnaires en sachant que la société
libérale dénoncera dans un premier temps cette politique de censure puis se
lassera de défendre le droit à la parole de ceux qu’elle réprouve, par
ailleurs.
Ils misent explicitement sur
une culture de l’intimidation : le prix à payer pour inviter ces conférenciers
devenant de plus en plus élevé, les groupes voulant s’associer à eux seront de
moins en moins nombreux. La violence de gauche prend aussi le visage de la
foule lyncheuse woke, très présente sur les campus américains, qui rassemble
moins des militants qu’une masse mutante d’individus hystérisés
idéologiquement, et prenant au sérieux l’idée selon laquelle certains discours,
même calmement exprimés et argumentés, représentent en soi une violence pour
les groupes minoritaires, et qu’il serait dès lors nécessaire et légitime de
prendre tous les moyens nécessaires pour qu’ils n’aient pas accès à une tribune
– il faudrait les « déplateformer », et comme on dit aujourd’hui, les «
canceller ».
Le traitement asymétrique des violences
La mouvance antifa agit
souvent dans l’indifférence totale des médias. Mais lorsqu’il n’est plus
possible de détourner le regard, le récit médiatique la déculpabilisera. Ainsi,
même si les antifas attaquent un événement culturel ou politique, le récit médiatique
rapportera plutôt des violences indéterminées, en en faisant souvent porter la
responsabilité à l’agressé. On tracera même un trait d’équivalence entre les
miliciens d’extrême gauche et le service d’ordre responsable de la sécurité de
l’événement en expliquant que les détracteurs et les partisans de ce candidat
se sont écharpés lors du rassemblement. Les violences engendrées par l’attaque
d’un meeting d’un homme politique de droite deviendront, dans les médias, les
violences au meeting dees violences au meeting de cet homme politique, comme
s’il en était responsable.
La violence
de l’émeute interpelle
aussi différemment, selon qu’on
la dise de
droite ou de gauche. Avec raison,
l’ensemble de la
classe politico-médiatique
occidentale a condamné l’émeute
du 6 janvier 2021,
qui a vu
la frange fanatisée
des partisans de
Donald Trump chercher
à s’emparer du
Capitole. Elle n’a
jamais, toutefois, montré
la même sévérité
au moment des
émeutes raciales à
répéti-tion du printemps
2020, qui ont
enflammé plusieurs grandes
villes américaines en multipliant
les scènes de pillage, parce que la cause à l’origine de ces violences était
cette fois jugée légitime.
Il convient alors de se
questionner sur la nature de ce traitement asymétrique des violences – alors
que les violences politiques concrètes, réelles, viennent pour l’essentiel de
la gauche, il faut le redire.
La première
interprétation se veut
philosophique, et se
présente comme une théorie du
changement social dans la modernité. Certains affirmeront que la violence de
gauche est une violence accoucheuse de l’histoire – c’est ce que disait Marx,
mais aussi Trotski, qui distinguait formellement la
violence révolutionnaire, émancipatrice, permettant
de liquider les
catégories sociales résiduelles
et le bois
mort de l’hu-manité,
et la violence
contre-révolutionnaire, entravant l’avènement
de la société
sans classes, de
la société idéale.
Cette distinction
n’est pas strictement
muséale : la
complaisance dont profite
encore Alain Badiou dans le petit milieu intellectuel nous
montre qu’une partie de l’intelligentsia,
sans le dire
ouvertement, juge encore
favorablement la violence
révolutionnaire, même dans
sa forme la
plus extrême et
caricaturale.Mais on peut
aussi penser que
cette asymétrie s’inscrit
dans la nature
même de ce
que j’appelle le
« régime diversitaire
», qui se
montre d’une grande
violence symbolique envers
les partis «
popu-listes », qu’il extrême-droitise, fascise et même nazifie, en
laissant tou-jours croire que les portes des enfers viennent de s’ouvrir en
laissant des forces atroces
en sortir, et
qu’il est absolument
urgent d’utiliser tous les moyens nécessaires pour les y
reconduire. Dès lors, les mili-tants antifas se
présentent structurellement, sans
que la chose
soit jamais revendiquée ou
théorisée, comme les milices du régime diversi-taire, traduisant concrètement à
coups de poing et de battes les slogans répétés sur la nécessité de sauver la
démocratie contre le fascisme qui revient. Elles permettent de mater les
adversaires du régime, surtout les plus sonores et les plus résolus.
On retrouve alors notre question
inaugurale.
Le régime diversitaire, qui,
de ce point de vue, ne fait que radicaliser la dynamique idéologique de la
modernité, juge la droite fondamentalement mauvaise – au fond d’elle-même, elle
dériverait naturellement vers l’extrême droite, si ce n’étaient des balises et
des interdictions qui lui sont posées
extérieurement. Puisque nous
sommes officiellement en démocratie libérale, elle est tolérée
comme un mal nécessaire, pour peu qu’elle ne soit qu’une gauche pâle ou une
gauche au ralenti – dès lors
qu’elle se charge
d’un contenu substantiel
et s’oppose non
seu-lement aux dérives de la gauche mais à la gauche en elle-même, elle
devient extrême droite.
Quant à
la gauche, elle
est fondamentalement juste,
et ses excès
relèvent non pas d’une nature perverse mais d’une bonté inflammée et
désordonnée, qu’on ne saurait, en dernière instance, sérieusement blâmer.
Titre et Texte: Mathieu
Bock-Côté, Revue
des Deux Mondes, novembre 2022, pages 39/43
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