Prince des poètes, roi de Montmartre, et romancier poujado-psychédélique sans pareil, Olivier Maulin élabore depuis une quinzaine d’années des contre-royaumes et des sabotages en règle du monde moderne. Après six années de silence, celui qui est devenu entretemps critique littéraire pour nos confrères de Valeurs Actuelles revient avec un roman débridé récapitulant tous ses thèmes avec un brio étincelant, Le Temps des loups, et c’est peu dire qu’il nous avait manqué.
Romaric Sangars
C’est votre premier roman
depuis six ans, alors que vous publiiez autrefois très régulièrement. Pourquoi
une si longue pause ?
Entretemps, ma vie a un peu
changé parce que j’ai été embauché chez Valeurs Actuelles, ce qui a fait
évoluer mon organisation. J’en ai profité pour faire une pause. Écrire un roman
est mentalement fatigant, on trimballe une pierre durant un long moment, je
voulais profiter de ma disponibilité intellectuelle et la réserver aux
articles, faire de la critique à plein temps. L’envie de faire un roman est
revenue petit à petit, et l’idée de ce bouquin a mûri de manière assez lente,
je l’ai écrit en deux ans et demi, principalement la nuit, pendant mes
insomnies.
Votre introduction est une
vraie satire du salon du livre de province, genre d’événements où vous avez
vous-même été beaucoup invité en tant qu’auteur…
Quand j’ai commencé à publier,
vers 2006, j’étais invité à beaucoup de salons, en effet. Au début ça me
faisait rire, mais très vite, j’ai compris que c’étaient des lieux assez frelatés.
Depuis que je suis à VA, je ne suis plus invité nulle part, ce dont mon atachée
de presse de l’époque, chez Denoël, m’avait averti. Alors, il n’y a aucune
vengeance de ma part, mais sachant que je n’y retournerai plus, j’en ai profité
pour dire un peu ce que je pensais de ces salons. Ça m’a aussi permis de faire
un chapitre pour éloigner les emmerdeurs!
Vous vouliez créer un «
safe space » réac ?
Oui! On vit à une époque où
les gens viennent tout le temps vous emmerder, alors je préfère annoncer d’emblée
la couleur. Ensuite, je voulais m’amuser avec les salons où l’on prétend
promouvoir la li#érature alors que c’est bidon de A à Z. C’est souvent organisé
par des gens de gauche anticapitalistes qui fustigent la li#érature-spectacle
mais qui reproduisent la même chose: à la "n, ils veulent quand même
inviter des stars dont tout le monde sait qu’ils écrivent des livres de merde
pour réussir à faire du chiffre.
«
Je prefere dire au lecteur de Télérama de passer son Chemin »
Vous déclarez écrire contre le lecteur de Télérama…
En réalité, je n’ai rien
contre le lecteur de Télérama, simplement, j’ai pris ça comme un symbole. Je
fais un premier chapitre volontairement ordurier pour dire à certaines
personnes que ce n’est pas la peine de venir! Ce n’est pas un geste très
commercial… Mais je crois de plus en plus, vu l’état de la France aujourd’hui,
qu’on n’a quasiment plus de « commun » avec certaines personnes. Moi j’évolue
dans un univers que beaucoup de gens partagent, d’autres, non seulement ne le
partagent pas, mais il les fait hurler. Alors je préfère dire au lecteur de
Télérama de passer son chemin. Il a plein de trucs à lire: le dernier prix
Nobel, Despentes… Ce n’est pas la peine qu’il vienne me lire, moi.
Ce roman me semble aussi
plus populiste et sécessionniste que jamais. Est-ce dû à l’impact des Gilets
jaunes ?
Mon roman se fait juste écho
de l’évolution du monde. Aujourd’hui, on voit bien que dans les « quartiers »,
comme on dit pudiquement, quand vous êtes blanc, même de gauche, on ne veut
plus de vous! Ça commence à se voir et plus personne ne peut véritablement le
nier. On commence à voir s’instaurer des apartheids volontaires. Je voulais
prendre ce#e sécession de vitesse: on va se dégager tout seul. Le paradoxe de
ce livre, c’est que si le ton est plutôt drôle et joyeux, son fond est très
pessimiste. Les Gilets jaunes, en dehors de toute récupération et de ce que
c’est devenu par la suite, représentaient une réaction que je considérais comme
totalement légitime, vu la manière dont ce peuple est traité. Je ne vois pas
comment ça ne pouvait pas se terminer sans jacquerie. Et malgré cette
jacquerie, tout continue aujourd’hui exactement comme avant.
D’où vous vient cette
tendresse particulière pour les idiots ?
Tout le paradoxe de mes
personnages, c’est qu’ils sont cons, mais qu’à un moment donné, on se rend
compte que le monde moderne est encore plus con qu’eux ! Il y a aussi un jeu,
c’est que ça m’amuse de me#re en scène des innocents, et ça permet de dire des
choses sur ce monde, en partant de ceux qui y sont inadaptés.
Avez-vous cédé à la vogue
féministe à votre manière, en faisant d’une jeune femme l’héroïne, et même
l’élue, de cette histoire ?
Peut-être! Après, ce
personnage-là n’est pas spéci"quement un personnage féministe. Au début,
c’est une petite serveuse capturée par des ours vosgiens, et "nalement,
c’est l’élue. Un miracle le prouve. Mais que ce soit la serveuse de bar sexy ou
la protectrice, ce sont deux "gures qui ne plairont pas aux féministes. En
plus, elle est très réac. J’ai voulu jouer sur le cliché alsacien qui n’est pas
tant que ça un cliché, d’ailleurs, et plus je vieillis, plus je le remarque: ça
marche en Alsace, parce que les gens sont carrés, réglos, qu’ils aiment
l’ordre. Et elle, elle aime l’ordre. Dans sa ferme, elle veut de l’ordre, elle
veut que tout soit beau et propre, mais elle dit aussi qu’une ferme sans
vaches: c’est le désordre. Elle veut que les choses soient à leur place, ce qui
est une réponse au désordre institutionnalisé d’aujourd’hui, avec ces gens qui
veulent tout déconstruire.
Vous imaginez aussi une
espèce de confrérie païenne : les « francs-bûcherons ».
Oui, ils se droguent et se
transforment en loups. Ce genre de confréries a existé dans l’antiquité, Tacite
en parle. Les Romains étaient terriblement e$rayés par ces sauvages drogués et
enduits de suie qui les a#aquaient nus en hurlant. J’ai donc imaginé qu’une de
ces confréries aurait perduré en se retirant loin dans la forêt. Je me suis
aussi fondé sur la franc-maçonnerie, qui, à l’origine, est opératoire: ce sont
des types qui construisent des cathédrales et s’échangent des informations
professionnelles. C’est bien plus tard que ça deviendra spéculatif. Je me suis
donc imaginé que des bûcherons se transme#aient quant à eux des secrets de la
nature. Mais comme je ne voulais pas que ce soit trop païen et déconnecté, j’ai
fait intervenir Jésus!
Oui, pour la première fois,
le Christ apparaît dans l’un de vos romans et c’est l’occasion pour vous de
proposer votre propre vision spirituelle.
Évidemment, le discours de mon
Christ reste assez farcesque, il ne faut pas le considérer du point de vue des
Évangiles, mais il y avait une nécessité pour moi de clari"er ma position
sur ces questionslà. J’ai beaucoup de camarades païens, même si je n’ai jamais
été vraiment païen quant à moi, mais j’ai un désaccord avec eux qui s’est
accentué avec le temps, qui est qu’en dépit de toute la sympathie que je peux
éprouver pour le paganisme passé, je sais qu’il est mort. En réalité, il ne
survit qu’à travers l’histoire du catholicisme, et par exemple dans le
catholicisme breton, où, à un moment donné, ont cohabité le Christ et les fées.
Je me rends compte, en vieillissant, que le catholicisme est indépassable, mais
j’ai du mal avec la hiérarchie catholique actuelle: nos bergers sont
aujourd’hui souvent e$rayants. Alors je règle quelques comptes. Je fais dire à
la "n à mon personnage Babou à l’adresse d’un curé: « Ton christianisme a
cinquante ans, le nôtre en a deux mille! » Après, je ne suis pas protestant, je
suis conscient que c’est Rome et sa hiérarchie qui ont permis au dogme de traverser
les siècles. Le jour où j’ai pris conscience que j’étais vraiment chrétien,
c’est quand j’ai compris cet amour que je portais aux faibles et aux innocents,
parce que les païens, comme les musulmans, ne jurent que par la force. On a du
mal à mesurer la révolution incroyable qu’a pu représenter, dans la Rome
antique, le fait de louer des faibles!
Comment combinez-vous cela
avec votre affection pour le paganisme ?
Il y a eu un beau paganisme, je parle en
termes historiques. C’est pour ça que pour moi, le XIIe et le XIIIe siècles
sont un climax dans notre civilisation, parce qu’on a un christianisme déjà
bien établi dans les élites qui tempère les mœurs et fait de belles choses,
mais on a encore une espèce de vitalité païenne. Aujourd’hui, certains curés
renoncent à tout. Il y a de très belles pages de Patrick Buisson sur tous ces
petits rituels de bénédictions quotidiennes, de bénédiction des foins… C’est cette
culture qui permettait au peuple de tenir. La connerie de Vatican II, ça a été
de vouloir éradiquer tout ça avec l’idée de faire un christianisme plus pur,
moins culturel, moins identitaire, et en fait, simplement: les gens ne sont
plus allés à l’église! Je suis affreusement nostalgique des processions et du
décorum qui faisait qu’on vivait dans un pays chrétien. Et cela a duré jusque
très récemment, jusque dans les années 50!
Pensez-vous vraiment, comme
votre roman semble le suggérer, que la fin de la France soit inéluctable ?
Je pense qu’aujourd’hui, on ne
peut pas ne pas envisager la possibilité de la fin de la France. Les gens que
cette idée fait ricaner, dans cinq ans, ne ricaneront peut-être plus. On ne
peut pas négliger l’idée que peut-être, dans les prochaines années, des parties
du territoire cessent de reconnaître la loi de la République. Il est évident
que dans les violences et les « refus d’obtempérer » des populations de ce
qu’on appelle les « quartiers », il y a quelque chose de l’ordre du refus de la
légitimité des pouvoirs actuels. Ce sont simplement des gens qui ne
reconnaissent plus l’ordre français républicain, après qu’on leur a mis dans la
tête, par une inversion délirante, que c’était un ordre colonial alors que ce
sont eux les colons. Donc peu à peu, la question de la sécession va finir par
se poser. Contrairement à un grand slogan de droite un peu benêt, je ne crois
pas que la France soit éternelle: c’est une construction. Le Rhin comme
frontière est le résultat d’une construction politique, qui a été méthodique,
juridique, et on peut arriver aujourd’hui, avec les mêmes moyens méthodiques et
juridiques, à déconstruire cette France. On arrive comme au bout d’une
aventure, et moi, je propose des solutions li#éraires, la féodalité et le Klein
Stadt impérial qui m’ont toujours parlé. Je suis très patriote français mais
parfois mon côté impérial allemand ressort, qui est aussi un aspect de mon
identité!
Vous opposez la réalité de
ce village des Vosges à un milieu culturel parisien devenu complètement
hors-sol…
Le seul avantage de vieillir,
c’est que les choses deviennent plus évidentes. Tout le roman oppose d’un côté
des gens hors-sol qui sont dans l’abstraction pure, et des gens concrets de
l’autre. La « planète », par exemple, c’est trop abstrait. Je veux défendre la
terre que je vois de chez moi, de mes yeux, autant contre la pollution des sols
que d’immigrés non-désirés. L’échelle fait tout. Olivier Rey a écrit un très
beau livre à ce sujet: dès qu’on dépasse une certaine échelle, on tombe dans
l’abstraction et dans l’abstraction, les gens prennent des décisions purement
rationnelles sans voir qu’il n’y a pas que la raison qui détermine la vie.
Babou, mon personnage de Patagone, ne veut pas de lu#es abstraites pour les
femmes ou pour la planète: elle défend son pré carré. Du reste, je fais un
éloge du repli. Longtemps, les écrivains avaient un « orient » où ils se
projetaient. N’est-ce pas votre Alsace natale, paradoxalement, qui est devenue
votre orient littéraire ?
Oui, pour moi qui suis devenu
très parisien dans ma vie quotidienne, l’Alsace est de plus en plus un
fantasme, même si j’y ai encore des attaches très vives! On revient à cette question
d’échelle: c’est pour moi la possibilité d’aimer un pays de manière beaucoup
plus charnelle. La première fois que je suis monté dans le petit chalet que
nous avons dans les Vosges, c’était le 1er août 1969, et j’avais dix-sept
jours. Cela fait cinquante ans que je m’y rends et ce qui me fascine, ce qui
m’émeut, c’est que les paysages n’ont pas bougé. Ce#e permanence m’apaise.
En tant que roi de Montmartre, quel message souhaitez-vous faire passer aux Français de 2022? Prenez vos fourches, les gars!
Propos recueillis par Romaric
Sangars – photos de Benjamin de Diesbach, L’Incorrect, nº 58, novembre 2022
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