Fatiha Boudjahlat
Quel courage incroyable que celui des femmes iraniennes, voulant venger la mort – la goutte de sang versé de trop – de Mahsa Amini [photo], qui avait mal porté son voile. Parce que la police de la vêture et des mœurs, c’est dans les riants pays islamiques qu’on la trouve. C’est en Iran qu’elle se saisit des femmes, des homosexuels, de quiconque ne se plie pas aux exigences dévorantes de la dictature théocratique. Les Iraniennes ne gagneront pas. À cause de la chape de plomb islamique. La religion ne se renverse pas aussi aisément qu’un dictateur.
Encore une fois, c’est la
dictature et l’islamisme dans la haine des femmes que ces manifestantes,
rejointes par des mères et des hommes, rejettent. Pas le droit d’être soumise
et réduite à un organe génital. Elles ne
se battent pas pour le libre choix, elles se battent contre leur statut de
sous-être humain signalé par ce voile. Il y a déjà eu tant de mobilisations, la
dernière en date était la campagne #LetUs-Talk, des femmes musulmanes expliquant
ce que pesait vraiment le voile et la nécessité vitale et politique à le
retirer.
Les néoféministes, trop occupées
à traquer le patriarcat dans la côte de bœuf grillée, ont été sourdes à ces
femmes qui ne leur ressemblent ni physiquement, ni culturellement, ni
politiquement. Les néoféministes survalorisent le moyen, le médium, aux dépens de
la cause. L’agit prop.
Sandrine Rousseau, véritable Icare,
n’a existé que par cette agitation pubarde, et se brûle les ailes à force de
surjouer l’intensité de l’engagement, qui, par un heureux hasard, sert son ambition
et son ascension. Mais il faut savoir faire
sa mue, et passer d’agitatrice à députée utile. Celle qui a participé au
chantage à l’islamophobie a cru pouvoir encore prendre la lumière en s’ex-primant
lors du rassemblement de soutien aux femmes iraniennes du 2 octobre à Paris.
Quelle erreur de jugement de sa part! Les néoféministes n’avaient pas appelé à manifester pour nos «sœurs» iraniennes. Sandrine Rousseau n’était pas en face de sa clientèle, de son cœur de cible, de sa part de marché: les sorcières girly. Elle s’est retrouvée en face d’Iraniennes ayant fui non pas le voile, ou l’absence de choix, mais bien la dictature islamique. Elle a été sifflée par les féministes universalistes. Comme députée, Sandrine Rousseau a sa place partout en France. Mais elle a choisi d’être agitatrice et dans la frénésie médiatique. Comme néoféministe osant rendre sécable le féminisme, osant réduire la liberté à la capacité de choisir son type d’aliénation (le voile ou les talons hauts), elle n’avait pas sa place dans ce rassemblement.
Annie Ernaux a reçu le prix
Nobel de littérature, insulte à ces femmes
iraniennes qui continuent
à être battues,
tuées. Je ne peux me réjouir de cette
reconnaissance, toute femme et française qu’elle soit, parce que je ne sépare
pas, à la manière de Sainte-Beuve, l’œuvre de l’artiste. Elle qui soutient le
voile dans l’Occident qu’elle méprise, elle qui, sa carrière faite, embrasse
les causes à la mode, intersection-nelle, indigéniste. Elle qui a avoué
récemment avoir avorté mais ne pas avoir signé le manifeste des 343 d’avril
1971, trop occupée à mener sa carrière d’agrégée.
Elle n’a pas été courageuse
quand cela aurait pu avoir un sens parce que cela lui faisait courir un risque.
Elle se rattrape à présent que ce n’est plus risqué. Il y avait le vieux beau,
il y a avec la vieille belle. Elle qui se présente comme la transfuge de classe
par excellence, stratégie d’une bourgeoise qui dissimule le capital dont elle a
pu profiter (ses parents, commerçants et propriétaires, lui ayant payé des
études dans le privé) pour accroître son statut de rescapée, de self-made
woman. Elle a méprisé ses parents pour l’absence de statut social enviable:
«L’épicerie-café, mes parents n’étaient
pas vrais, j’allais un soir m’endormir et me réveiller au bout d’une route, j’entrerais
dans un château, un gong sonnerait et je dirais “bonjour papa!” à un élégant
monsieur servi par un maître d’hôtel. (1)»
L’amertume de ne pas avoir fait
partie des privilégiés, quitte à minorer et dissimuler les avantages de
sécurité matérielle dont elle a joui. L’irréductible bourgeoise...
Sororité, soyons sorores... Pas sœurs, pas camarades de combat, pas solidaires,
mais sorores... le langage performatif,
l’élitisme rhétorique qui est un marqueur de classe sociale. Je vomis cette
injonction. Je suis fille unique, avec sept
frères. Je n’ai pas de sœur. Je n’en cherche pas. Je veux des camarades de lutte. Les mêmes néoféministes qui nous disent que l’utérus
ne fait pas la femme nous disent que l’utérus fait la féministe. Se
réjouiront-elles de l’élection de Marine Le Pen?
Je ne suis pas une sorcière.
Je ne suis pas sorore. Je me sens plus proche des hommes qui manifestent
aux côtés des Iraniennes que des femmes gauchistes qui ont manifesté aux côtés des
islamistes à Paris. Je suis lucide sur mes
intérêts de femme. Je suis plus proche
d’Élisabeth Badinter la rationnelle et l’universaliste que des néofeministes et
des intersectionnelles girly et sorcières. Et la violence n’est jamais
de notre côté, mais du leur. La fausse radicalité, fait de belles images, de
beaux happenings d’art contemporain, mais ne remet pas en cause les privilèges de
classe ni l’emprise théocratique sur les corps et les consciences.
Je reste sur ce sujet du
voilement. Nulle monomaniaquerie. C’est le marqueur ultime du féminisme et de sa
cohérence. Si le voile est une liberté,
ce n’est pas une obligation religieuse. Si c’est une obligation religieuse, ce n’est
pas une liberté. Opter pour le voilement
est un choix, pas une liberté. Je choisis la liberté. Et je ne peux être libre
tant que les femmes dans le monde seront asservies par le patriarcat, qu’il
soit chrétien, islamique ou traditionnel. Le voilement choisi des autres ne me
retire rien à moi comme droit en France, m’opposera-t-on. Si, il me condamne à passer pour mauvaise musulmane,
pour une « négresse de maison ». S’il se fait le vecteur, le complice de
l’op-pression des femmes ailleurs, alors même ici je le combattrai pour ce
qu’il est et pour ce qu’il produit.
1.
Annie Ernaux, Les Armoires vides, Gallimard, 1974, p. 80.
Titre et Texte: Fatiha
Boudjahlat est fonctionnaire de l’Éducation nationale, féministe
universaliste. Derniers ouvrages publiés: Combattre le voilement (Cerf, 2019),
Les Nostalgériades (Cerf, 2021). Revue des Deux Mondes, décembre 2022/janvier 2023
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