Julien San Frax
Le Portugal est à la mode. Preuve en est avec la Saison France-Portugal
2022 qui, sous l’égide de l’Institut français, a proposé jusqu’à la fin octobre
une flopée de manifestations traversées des meilleures intentions pour « parler
d’Europe et d’intégration, des valeurs d’inclusion, de parité et d’égalité, et
bien sûr de culture et de patrimoine, sous l’angle des nouvelles technologies
et des industries culturelles et créatives (sic) ».
Au-delà du lénifiant jargon propre à promouvoir cet œcuménisme de bon
aloi où « les jeunes », « les femmes »,
« les océans », « la francophonie », etc., se
voient immanquablement portés en étendard, on se prend à rêver de vieilles
pierres.
À une heure de Lisbonne, au cœur de l’Estrémadure, non loin de Leiria et
de ses célèbres pinèdes, Óbidos, gros bourg proche de l’océan aux bâtisses
chaulées de blanc, enchâssé dans une enceinte de remparts, paraît surgir d’un
temps pétrifié. Certes, sur le pavé récuré de ses ruelles, le fracas mondialisé
des Samsonite à roulettes a définitivement remplacé le roulis des charrettes,
la frappe des sabots et le crottin des montures.
Et le patelin de 3 000 âmes a, sans recours, sacrifié sa ruralité
paysanne à la rente patrimoniale : élu l’une des « Sept Merveilles du
Portugal », le village fortifié est également estampillé « Ville
créative » par l’Unesco. Au pied de ses remparts, jouxtant la porte Est
dominée par deux imposantes tours médiévales, une vaste librairie-bibliothèque
ripolinée a annexé l’église gothique de Saint-Pierre, ainsi sécularisée à
l’enseigne de la Culture.
Chaque année, au mois d’octobre, un Festival international de littérature (FOLIO), associé à un projet de réhabilitation de maisons à l’abandon destiné à former un réseau de résidences d’artistes et de pépinières d’« entrepreneurs créatifs », réunit écrivains, éditeurs à Óbidos, et propose toute une batterie de programmes récréatifs… En attendant, dans une Europe où les librairies disparaissent, la première surprise, dans cet îlot patrimonial, c’est leur nombre incroyable.
Pour le reste, Óbidos donne dans le touristico-culturel :
expositions d’art visuel au petit musée municipal – qui abrite les œuvres de
l’artiste locale Josefa d’Óbidos (1630-1684) ; musique classique avec, la
première quinzaine d’août, le Festival international de piano d’Óbidos (SIPO) ;
un marché médiéval sur dix jours fin juillet (processions de pénitents,
tournois, ménestrels et troubadours, ferme aux bestiaux) ; et même, au
mois de mars, un… Festivalinternational du chocolat qui met à l’honneur la ginja, cette fameuse
liqueur de cerise qu’on déguste dans des tasses… en chocolat. Bref, l’alibi
culturel cautionne le tourisme de masse.
Óbidos, village
global ?
Les vestiges archéologiques indiquent une présence humaine depuis le
Paléolithique inférieur. Óbidos, qui ne domine plus le rivage maritime – sa
lagune ayant été progressivement envasée au fil des siècles – a été un comptoir
phénicien puis un oppidum (citadelle fortifiée) romain, avant de devenir
une place forte arabe, jusqu’à la reconquête de la ville par Dom Afonso Henriques,
au XIIe siècle. Une fois les Maures boutés hors de la péninsule, les
murailles ont été restaurées. Le château date de cette époque.
En 1210, le roi Dom Dinis offre Óbidos en cadeau de noces à son épouse la
reine Santa Isabel. Dès lors, le village est resté la « Casa das
Rainhas » – la propriété des reines portugaises – jusqu’en 1834 !
Hantée par les figures de Dom João II, de Leonor de Lancastre et du malheureux
Dom Sebastião – qui meurt à la bataille de Ksar-el-Kébir (Maroc) à 24 ans en
1578 –, la légende d’Óbidos coule dans la geste lusitanienne. Du bourg
médiéval, il ne reste pas grand-chose. Le fameux tremblement de terre de 1755
n’a pas seulement ravagé Lisbonne : la plupart des édifices et églises
d’Óbidos se sont effondrés. Paradoxe, l’infrangible beauté de ce joyau baroque
et manuélin doit tout à cette catastrophe, du tracé rectiligne de sa Rua
Direita (rue principale) à ses façades immaculées, de ses toits de tuiles
rutilants au dessin de ses églises ornées de fabuleux azulejos, de leurs autels
surchargés de dorures à leurs plafonds somptueusement peints.
Cet écrin du XVIIIe siècle serti dans une maçonnerie féodale
peut se visiter en un jour, c’est ce que font la plupart des touristes.
Malgré l’inexorable dégradation du paysage alentour – mitage périurbain
dans le loin[1]tain,
au milieu des vignobles, un aqueduc routier barre deux collines à l’horizon –,
il est encore permis de rêver. Minuscule promontoire enclos dans son colossal
appareil défensif, havre préservé du trafic automobile et même des trottinettes
(mais jusqu’à quand ?), Óbidos, le soir venu, se recharge de poésie,
lorsque, délestée de ses cargaisons de journaliers cosmopolites et de ses
milliers de touristes, la bourgade silencieuse, aérée, limpide, s’octroie dans
la lumière vespérale un regain de vacance qui la rend providentiellement à
elle-même.
Titre Image et Texte: Julien San Frax, CAUSEUR, nº 107, décembre
2022
Óbidos
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