Propos recueillis par Etienne Campion
Emmanuel Macron joue la
décontraction d’un côté, mais aussi l’extrême gravité de l’autre, oscillant du
stand-up au tragique. Il scinde sa présentation de soi au regard de deux
segments générationnels : les jeunes post-adolescents et les seniors, comme si
l’entre-deux n’existait pas, analyse Arnaud Benedetti.
Emmanuel Macron en sweat à capuche, pas rasé, jouant à Volodymyr Zelensky dans son bunker alors qu'il est tranquillement assis dans son fauteuil rue du Faubourg Saint-Honoré. Arnaud Benedetti, spécialiste de la communication politique et auteur de Comment sont morts les politiques. Le grand malaise du pouvoir (Cerf, 2021), a vu les photos du président de la République diffusées par sa photographe Soazig de La Moissonnière.
Marianne
: Emmanuel Macron semble tenir à ces photos façon diplomate
qui ne dort jamais, les traits tirés devant sa pieuvre à se battre contre
la guerre…
Arnaud
Benedetti : Emmanuel Macron a fait le choix de la mise en
fiction de sa communication. Il exacerbe cette « netflixisation », au
moment où la guerre resurgit en Europe. La mise en scène est consubstantielle
de son mandat qui, plus que tout autre avant lui, aura été celui de la
scénographie permanente. Macron se regarde vivre, comme si le réel était une
matière qu’il fallait dépasser toujours plus par l’exaltation permanente de
soi. Il sursouligne des postures en puisant dans un imaginaire de
l’immédiateté. Ce polymorphisme se nourrit d’une palette de stéréotypes mis en
musique. Ils vont du divertissement – comme lorsqu’il batifole avec deux
youtubeurs – jusqu’à la mise en exergue de la figure héroïque et tragique, avec
cette emphase qui l’accompagne à l’occasion d’un certain nombre de crises
(crise sanitaire, guerre en Ukraine etc.).
« Dans
l’hypothèse d’un retournement subit des opinions, qu’il ne faut jamais exclure,
cela peut s’avérer très dangereux. »
Reste à s’interroger : quelle fonction remplit cette exposition théâtrale, et est-elle efficace ? Quelque part Macron, lui aussi « aurait voulu être un artiste ». Il ne l’est pas, mais dispose dans son cœur électoral d’une « école des fans » qui goûte cet activisme transformiste, cette agitation de rock star. Il réactive ainsi une fascination très facile qui permet de tenir en tension un système médiatique qui a du mal avec l’esprit critique. Il nourrit la bête. Quant à l’efficience, elle n’est pas démontrée, tant s’en faut, quand bien même alimente-t-il le sentiment d’une prétendue hypermodernité, mais en suscitant également une agaçante propension au narcissisme. À terme, dans l’hypothèse d’un retournement subit des opinions, qu’il ne faut jamais exclure, cela peut s’avérer très dangereux.
Macron ne singe-t-il pas
Zelensky ? Que pensez-vous de la communication de guerre de ce dernier ?
Macron en rajoute tout le
temps pour habiter l’immensité sacrale de la fonction : il joue la
décontraction d’un côté, mais aussi l’extrême gravité de l’autre, oscillant du
stand-up au tragique. Il scinde sa présentation de soi au regard de deux
segments générationnels : les jeunes post-adolescents et les seniors, comme si
l’entre-deux n’existait pas. En investissant les codes de Zelensky, outre le
mimétisme un tantinet immature que cela suggère, il nous dit que son rapport à
l’Histoire n’est pas naturel. Être dans l’Histoire, ce n’est pas forcément
surjouer celle-ci, comme il le fait. Il n’habite pas l’Histoire, mais il la
mime, comme s’il se projetait dans une postérité artificielle, dont l’objet
consiste à créer une sorte de légende du macronisme.
«
Il a compris que si l’agression vient de l’Est, la bataille de l’émotion dans
ce qu’elle peut avoir de lyrique et de médiatique, se joue pour une part
déterminante à l’Ouest. »
Zelensky, lui est confronté à
l’embourbement du drame, car c’est son peuple et son gouvernement qui sont la
cible des bombardements. La différence, dès lors, est de taille entre le
comédien devenu président et le Président qui se rêve comédien ! Le président
ukrainien n’en demeure pas moins aussi un homme de spectacle qui, par sa
communication de l’urgence, et du drame, par son agilité à user d’une fluidité
de l’image, mobilise l’opinion occidentale et les médias occidentaux en sa
faveur, car il a compris que si l’agression vient de l’Est, la bataille de
l’émotion dans ce qu’elle peut avoir de lyrique et de médiatique, se joue pour
une part déterminante à l’Ouest.
En même temps qu’il
communique de façon un peu facile, Emmanuel Macron ne débat plus. On a
l’impression qu’il a remplacé l’exercice normal d’une campagne et du jeu
politique (débat, discours…) par des moments un peu faciles de com’ (youtubeurs
à l’Élysée, photos pseudo-fuitées…).
Échappera-t-il au débat ? La
tentation est grande, sans doute, du côté du Président qui cherche à ne surtout
pas être banalisé. Sous cet angle, il se conforme à la technique éprouvée de
nombre de ses prédécesseurs présidents : tout à la fois sortant et
candidat. Sauf qu’entre-temps, le monde a changé et notamment la médiatisation
de ce monde, où la désacralisation des fonctions étatiques s’est
considérablement accentuée. Le moment guerrier, de cette guerre par projection
imaginaire puisque la France et l’UE ne sont pas en guerre ou ne le sont que
par un phénomène de procuration médiatique et psychologique, fournit au
président-candidat une opportunité pour surinvestir la présidentialité, dont il
est par l’expérience du mandat qu’il achève le dépositaire.
« Il
veut en éviter à tout prix le devoir d’inventaire. »
La communication qu’il dessine
est le dessein de sa pratique du pouvoir, puisqu’elle recouvre les
ambivalences, les non-dits, les amnésies de son quinquennat. Il veut en éviter
à tout prix le devoir d’inventaire dont une campagne est par vocation le moment
privilégié. Sa com’ est trivialement le village Potemkine de son mandat ; elle
détourne le regard de ce qui constitue l’essence du moment macroniste : une
instance de double démoralisation démocratique sur le plan de l’intensité du
politique qui est tout à la fois démonétisé dans sa capacité à agir et dans sa
disposition à incarner l’exigence morale de l’action publique. La communication
est ce bruit de fond du débat public qui nous détourne de l’essentiel…
Par Etienne Campion,
Marianne,
17-3-2022, 12h30
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