quinta-feira, 17 de março de 2022

"En singeant Zelensky, Macron montre qu'il n’habite pas l’Histoire : il la mime"

Propos recueillis par Etienne Campion

Emmanuel Macron joue la décontraction d’un côté, mais aussi l’extrême gravité de l’autre, oscillant du stand-up au tragique. Il scinde sa présentation de soi au regard de deux segments générationnels : les jeunes post-adolescents et les seniors, comme si l’entre-deux n’existait pas, analyse Arnaud Benedetti.

Emmanuel Macron en sweat à capuche, pas rasé, jouant à Volodymyr Zelensky dans son bunker alors qu'il est tranquillement assis dans son fauteuil rue du Faubourg Saint-Honoré. Arnaud Benedetti, spécialiste de la communication politique et auteur de Comment sont morts les politiques. Le grand malaise du pouvoir (Cerf, 2021), a vu les photos du président de la République diffusées par sa photographe Soazig de La Moissonnière. 

Marianne : Emmanuel Macron semble tenir à ces photos façon diplomate qui ne dort jamais, les traits tirés devant sa pieuvre à se battre contre la guerre…

Arnaud Benedetti : Emmanuel Macron a fait le choix de la mise en fiction de sa communication. Il exacerbe cette « netflixisation », au moment où la guerre resurgit en Europe. La mise en scène est consubstantielle de son mandat qui, plus que tout autre avant lui, aura été celui de la scénographie permanente. Macron se regarde vivre, comme si le réel était une matière qu’il fallait dépasser toujours plus par l’exaltation permanente de soi. Il sursouligne des postures en puisant dans un imaginaire de l’immédiateté. Ce polymorphisme se nourrit d’une palette de stéréotypes mis en musique. Ils vont du divertissement – comme lorsqu’il batifole avec deux youtubeurs – jusqu’à la mise en exergue de la figure héroïque et tragique, avec cette emphase qui l’accompagne à l’occasion d’un certain nombre de crises (crise sanitaire, guerre en Ukraine etc.).

« Dans l’hypothèse d’un retournement subit des opinions, qu’il ne faut jamais exclure, cela peut s’avérer très dangereux. »

Reste à s’interroger : quelle fonction remplit cette exposition théâtrale, et est-elle efficace ? Quelque part Macron, lui aussi « aurait voulu être un artiste ». Il ne l’est pas, mais dispose dans son cœur électoral d’une « école des fans » qui goûte cet activisme transformiste, cette agitation de rock star. Il réactive ainsi une fascination très facile qui permet de tenir en tension un système médiatique qui a du mal avec l’esprit critique. Il nourrit la bête. Quant à l’efficience, elle n’est pas démontrée, tant s’en faut, quand bien même alimente-t-il le sentiment d’une prétendue hypermodernité, mais en suscitant également une agaçante propension au narcissisme. À terme, dans l’hypothèse d’un retournement subit des opinions, qu’il ne faut jamais exclure, cela peut s’avérer très dangereux.

Macron ne singe-t-il pas Zelensky ? Que pensez-vous de la communication de guerre de ce dernier ?

Macron en rajoute tout le temps pour habiter l’immensité sacrale de la fonction : il joue la décontraction d’un côté, mais aussi l’extrême gravité de l’autre, oscillant du stand-up au tragique. Il scinde sa présentation de soi au regard de deux segments générationnels : les jeunes post-adolescents et les seniors, comme si l’entre-deux n’existait pas. En investissant les codes de Zelensky, outre le mimétisme un tantinet immature que cela suggère, il nous dit que son rapport à l’Histoire n’est pas naturel. Être dans l’Histoire, ce n’est pas forcément surjouer celle-ci, comme il le fait. Il n’habite pas l’Histoire, mais il la mime, comme s’il se projetait dans une postérité artificielle, dont l’objet consiste à créer une sorte de légende du macronisme.

« Il a compris que si l’agression vient de l’Est, la bataille de l’émotion dans ce qu’elle peut avoir de lyrique et de médiatique, se joue pour une part déterminante à l’Ouest. »

Zelensky, lui est confronté à l’embourbement du drame, car c’est son peuple et son gouvernement qui sont la cible des bombardements. La différence, dès lors, est de taille entre le comédien devenu président et le Président qui se rêve comédien ! Le président ukrainien n’en demeure pas moins aussi un homme de spectacle qui, par sa communication de l’urgence, et du drame, par son agilité à user d’une fluidité de l’image, mobilise l’opinion occidentale et les médias occidentaux en sa faveur, car il a compris que si l’agression vient de l’Est, la bataille de l’émotion dans ce qu’elle peut avoir de lyrique et de médiatique, se joue pour une part déterminante à l’Ouest.

En même temps qu’il communique de façon un peu facile, Emmanuel Macron ne débat plus. On a l’impression qu’il a remplacé l’exercice normal d’une campagne et du jeu politique (débat, discours…) par des moments un peu faciles de com’ (youtubeurs à l’Élysée, photos pseudo-fuitées…).

Échappera-t-il au débat ? La tentation est grande, sans doute, du côté du Président qui cherche à ne surtout pas être banalisé. Sous cet angle, il se conforme à la technique éprouvée de nombre de ses prédécesseurs présidents : tout à la fois sortant et candidat. Sauf qu’entre-temps, le monde a changé et notamment la médiatisation de ce monde, où la désacralisation des fonctions étatiques s’est considérablement accentuée. Le moment guerrier, de cette guerre par projection imaginaire puisque la France et l’UE ne sont pas en guerre ou ne le sont que par un phénomène de procuration médiatique et psychologique, fournit au président-candidat une opportunité pour surinvestir la présidentialité, dont il est par l’expérience du mandat qu’il achève le dépositaire.

« Il veut en éviter à tout prix le devoir d’inventaire. »

La communication qu’il dessine est le dessein de sa pratique du pouvoir, puisqu’elle recouvre les ambivalences, les non-dits, les amnésies de son quinquennat. Il veut en éviter à tout prix le devoir d’inventaire dont une campagne est par vocation le moment privilégié. Sa com’ est trivialement le village Potemkine de son mandat ; elle détourne le regard de ce qui constitue l’essence du moment macroniste : une instance de double démoralisation démocratique sur le plan de l’intensité du politique qui est tout à la fois démonétisé dans sa capacité à agir et dans sa disposition à incarner l’exigence morale de l’action publique. La communication est ce bruit de fond du débat public qui nous détourne de l’essentiel…

Par Etienne Campion, Marianne, 17-3-2022, 12h30

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