Caroline Galactéros
« A quelque chose malheur
est bon ». Le conflit ukrainien a permis de lâcher les chiens. Depuis huit
mois, la meute des néo-conservateurs bellicistes européens qui peuplent médias
et think tanks français fond sur tout individu osant appeler à la raison pour
stopper l’escalade militaire qui met l’Europe (et non l’Amérique) en danger
vital. Le téméraire est immédiatement traité de « munichois », injure suprême,
synonyme de pacifisme pleutre. Le Pape François, qui vient d’appeler la Russie
mais aussi l’Ukraine à cesser le feu est-il munichois ? La guerre jusqu’au dernier
Ukrainien est-elle inévitable pour ne pas perdre son âme ? Le prix en est-il le
plongeon de nos peuples et États dans une crise économique, financière et
sociale gravissime qui affaiblira la France et l’Europe entière, les plaçant
sous la dépendance définitive du maître américain ? Soyons sérieux !
Nous formons depuis 2015, via l’OTAN, les forces ukrainiennes pour bouter la Russie hors d’Europe et la couper de l’Allemagne. Depuis le 24 février, nous inondons Kiev d’armements et sommes devenus cobelligérants de fait. Nous sommes déjà en guerre contre la Russie et pour le compte de l’Amérique ; simplement nous ne le disons pas pour ne pas devoir demander leur avis à nos peuples, et nous faisons cette guerre par Ukrainiens interposés et à leurs dépens ultimes, comme semble commencer à le comprendre le président Zelenski qui craint que Washington ne le lâche et implore désormais l’OTAN de risquer rien moins qu’une guerre nucléaire pour sauver sa peau et pas celle de son peuple. Heureusement, J. Stoltenberg n’est pas fou non plus… Personne en Europe ou aux Etats-Unis n’entend mourir pour le Donbass. En revanche, sacrifier les Ukrainiens en les armant sans cesse pour espérer épuiser la Russie et la mettre à terre économiquement et stratégiquement…
Contrairement à ce que dit E.
Macron, « le prix de la liberté » – le massacre de l’économie européenne – ne
sauvera pas la « démocratie » ukrainienne. Ce sera la guerre directe si rien
n’est fait pour casser l’engrenage et restabiliser la sécurité européenne, ce
qui est illusoire sans la Russie. Ceux qui poussent à la roue prolongent les
souffrances du peuple ukrainien et ne défendent aucunement les « valeurs »
européennes. L’Europe a été pensée contre la guerre. Ils la défigurent. Cette
rhétorique masque leur allégeance à un hégémonisme occidental discrédité qui
croit encore pouvoir se rétablir sur le dos de la Russie. Les vrais Munichois
sont ceux qui condamnent aujourd’hui l’Europe au déclassement stratégique, à
l’aventurisme militaire et à la soumission, non à la Russie mais aux
Etats-Unis. Les stratèges de plateaux, stipendiés ou juste vaniteux, portent
une responsabilité lourde en véhiculant d’énormes mensonges sur la réalité des
combats, des forces et des pertes. La désinformation fait rage dans chaque
camp. La guerre va se poursuivre et l’Ukraine est mal partie. Toute la
propagande et les mensonges du monde n’y changeront rien.
Le discours du président russe
du 30 septembre a marqué un tournant dont nous n’avons pas à nous réjouir. Il a
exprimé son rejet durable de l’Europe et de « l’Occident collectif » pour
des raisons sécuritaires et existentielles, mais aussi culturelles et
spirituelles. Poussé par la surenchère otanienne qui le met en danger au plan
intérieur face à des courants qui n’ont pas gouté sa « retenue »
durant les premiers mois du conflit et demandent un engagement de forces
décisif, il vient de s’y résoudre, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Après
une probable pause opérationnelle russe, on peut craindre une phase plus
violente avec destruction des infrastructures civiles et bombardements lourds.
Mais les Munichois s’en moquent.
Avec le sabotage de North
Stream 1 et 2, l’Amérique (qui d’autre ?) vient carrément de couper le gaz
à l’Europe et de décider de la marginalisation de l’Allemagne au profit de la
Pologne ! C’est un acte de guerre de la part de notre protecteur chéri.
Donc, nous faisons mine de l’ignorer, comme la chute de l’euro et la mise en
panne imminente de l’industrie allemande qui préfigure notre propre
affaissement économique. Le chancelier Scholz n’était pas assez docile, il
rechignait à livrer des chars de combat modernes à Kiev ? L’Empire ne
tolère aucune indépendance de ses vassaux, même verbale. Les gazoducs sont
coupés, le « Baltic pipe » qui relie la Norvège à la Pologne, ennemie
héréditaire de l’Allemagne, est entré en service. Varsovie jubile et Berlin va
payer par une lourde crise sa faute géostratégique majeure consistant à obéir à
Washington en renonçant à l’énergie bon marché russe. Les Etats-Unis eux,
voient s’éloigner leur terreur géopolitique cardinale – l’alliance
germano-russe- et imposent leur mainmise énergétique durable sur l’Europe.
Quand on pense que d’aucuns chantent « la souveraineté européenne » …
Les Munichois sont en fait
ceux qui ne disent rien, qui n’ont jamais rien dit d’ailleurs, qui n’osent ni
défendre nos intérêts nationaux ni même ceux de l’Europe que l’on vient très
brutalement de remettre à leur place. Marginale. Nos « élites » ne pensent
plus le réel, encore moins la dimension nationale comme pertinente. Le long
processus de dévalorisation et d’affaissement des États, engagé dès les années
90, nous coupe de tout instinct de survie. C’est ça l’esprit de Munich. C’est
donc le prix de la guerre que nous commençons déjà à payer. Les Ukrainiens dans
le sang, les Européens dans le froid et la décroissance. Pour l’instant. Il
devient inadmissible que nos dirigeants, somnambules indifférents, nous
entrainent dans un tel marasme sans devoir en rendre compte à leurs mandants.
Il est grand temps que les Français soient consultés sur cette guerre qui ne
dit pas son nom et met leur survie en jeu.
Cet affrontement est une impasse militaire. Il faut arrêter le massacre et rétablir le dialogue. La sécurité et la prospérité de l’Europe n’en valent-elles pas la peine ? La France peut encore et doit porter une telle initiative. Elle sortirait peut-être ainsi du mépris croissant dans lequel la Russie mais aussi la Chine, comme une partie de l’Afrique et de l’Amérique latine, la tiennent désormais. Échapper au déshonneur et stopper la guerre n’est pas être munichois, c’est juste recouvrer la raison et défendre l’intérêt de notre peuple et de la France.
Source : Le Courrier des stratèges
Titre et Texte: Caroline Galactéros, * Burdigala Presse, 11-10-2022
* Docteur en sciences politiques, colonel dans la réserve opérationnelle des Armées et ancienne directrice de séminaire à l’École de guerre (Paris), Caroline Galactéros a créé et dirige le think tank GEOPRAGMA – Pôle français de géopolitique réaliste (Paris). Elle est également l’auteur du blog Bouger les lignes.
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