segunda-feira, 3 de outubro de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] Élisabeth Badinter et Sandrine Rousseau : splendeur et misère du féminisme

Valérie Toranian

Dans quel monde vivons-nous ? Pour avoir déclaré au micro de France Inter que les violences faites aux femmes (qui vont, rappelons-le, du propos sexiste au viol) n’ont pas le même statut qu’un crime contre l’humanité (génocide, crime de guerre), Élisabeth Badinter [photo] s’est vu agonir d’injures sur les réseaux sociaux. « Les violences sexuelles contre les femmes doivent être punies mais demander qu’elles soient imprescriptibles, c’est les comparer aux crimes contre l’humanité. Je trouve cela indécent», a expliqué la philosophe qui en appelle au « bon sens ». Et défend la présomption d’innocence, clé de voûte de la démocratie. La décence, le bon sens et la présomption d’innocence sont-ils encore des concepts valides dans le monde post-moderne des néo-féministes ? Non. Tout procède d’une construction idéologique qui doit concourir à un seul et même objectif : disqualifier le système occidental blanc, patriarcal et capitaliste, et rééduquer les esprits afin qu’un monde nouveau émerge, lavé à tout jamais des fondamentaux libéraux, laïcs et universalistes de l’« ancien régime » républicain.

Soyons clairs. #MeToo a permis de mettre en lumière et de dénoncer des pratiques, des mœurs, des comportements qui doivent être pris en compte et combattus. Mais pas au point de renoncer à toute hiérarchie dans les crimes. Pas au point de fouler au pied les principes de l’État de droit pour créer des justices parallèles, des tribunaux médiatiques, des dénonciations publiques sur les plateaux de télévision comme l’a fait Sandrine Rousseau avec Julien Bayou.

Élisabeth Badinter est non seulement féministe, universaliste et laïque mais c’est une femme de gauche. Et l’extrême gauche, qu’on a honteusement rebaptisée la gauche pour faire plaisir à la Nupes, n’a jamais de mots assez durs pour disqualifier les critiques qui viennent du camp social-démocrate.

« Les néo-féministes, embarrassées par la stature d’intellectuelle et de féministe reconnue d’Élisabeth Badinter, ont longtemps mesuré leurs coups. C’est fini. L’heure est à la radicalité et à l’outrance. À l’inquisition. »

La philosophe paye cher. Elle est régulièrement taxée de « réactionnaire » depuis qu’en 1989, elle a signé avec Régis DebrayAlain FinkielkrautCatherine Kintzler et Élisabeth de Fontenay, le manifeste Profs, ne capitulez pas ! au moment de l’affaire du foulard de Creil. Les cinq intellectuels dénonçaient le « Munich de l’Éducation nationale » : Lionel Jospin, alors ministre, s’était lavé les mains face à ces premières manifestations de prosélytisme religieux. Ils redoutaient, à raison, que le foulard ne soit pas du tout un « bout de tissu inoffensif » mais bien le début d’une main mise de l’islam politique sur les Français musulmans.

Depuis trente ans, Élisabeth Badinter ne cesse de rappeler à l’ordre la gauche qui a choisi la défense du religieux et se prosterne devant le culte de la « différence » au détriment des valeurs de liberté et d’égalité. Elle martèle que le féminisme islamique n’existe pas, que le foulard est l’expression de la soumission des femmes et de leur infériorité et que, à ce titre elle le combat. Comme elle a combattu toutes les formes d’oppression de la femme, qu’elles soient religieuses, sociétales, familiales.

Élisabeth Badinter a peut-être été maladroite dans sa façon d’en appeler à la responsabilité des femmes qui doivent impérativement porter plainte dans les délais impartis par la loi. Et il est vrai que, dans le cas des violences conjugales, certaines femmes ne veulent pas, ne peuvent pas, n’osent pas porter plainte, de peur de représailles. Mais fait-on sérieusement le procès à Élisabeth Badinter de cracher avec mépris sur le sort de ces femmes-là ? Les réseaux sociaux se déchaînent contre elle. Comment ose-t-on demander aux femmes de prendre leur responsabilité ?, peut-on lire. C’est du « mépris », de « l’arrogance », de « l’ignorance »… Fascinante époque.

« Dans le système totalitaire, on vous fait disparaître. Dans le système Sandrine Rousseau, on vous excommunie, on vous cancelle, on criminalise votre parole. Dans le système totalitaire, on réécrit l’histoire. Dans le système Sandrine Rousseau aussi. »

Dans une société où l’on nous explique que nous sommes ce que nous voulons être, que notre corps, notre sexe n’ont pas de réalité, que rien n’est plus sacré que notre volonté propre, on pourrait s’imaginer que la responsabilité de chacun est une valeur cardinale. Or c’est exactement l’inverse. L’essence des femmes est l’irresponsabilité. Par nature et par culture, elles ne peuvent qu’être des victimes, des « sous emprise ». Au point que certaines, qui ne se sentent pas traumatisées d’avoir cédé à un homme, sont rappelées à l’ordre. Elles sont accusées, au mieux d’être dans le déni de leur traumatisme, au pire d’être des traîtresses à la cause et de faire le jeu du patriarcat.

Les néo-féministes, embarrassées par la stature d’intellectuelle et de féministe reconnue d’Élisabeth Badinter, ont longtemps mesuré leurs coups. C’est fini. L’heure est à la radicalité et à l’outrance. À l’inquisition. Sandrine Rousseau est le symptôme de la khmérisation du débat public. Aucune critique n’est recevable, toute critique fait de vous le complice de l’ennemi. Élisabeth Badinter est, selon elle, la voix du patriarcat et sa complice.

Dans le système totalitaire, on vous fait disparaître. Dans le système Sandrine Rousseau, on vous excommunie, on vous cancelle, on criminalise votre parole. Dans le système totalitaire, on réécrit l’histoire. Dans le système Sandrine Rousseau aussi. La députée EELV s’est présentée à la manifestation de soutien aux femmes iraniennes pour faire passer le message que le patriarcat est horrible partout, et que les femmes sont opprimées partout. Tout juste si elle n’a pas dit que l’Iran et la France c’était le même continuum de violences. Elle s’est fait copieusement siffler. Les manifestantes n’ont pas oublié que Sandrine Rousseau défend les femmes voilées, relativise le sens symbolique du foulard, refuse d’en voir un instrument prosélyte de l’islamisme et prétend même, avec l’air de la ravie de la crèche, que c’est un accessoire d’embellissement. Mais en Iran, on ne manifeste pas pour la liberté de porter le voile ou pas. On dénonce le foulard pour ce qu’il est, le symbole du fondamentalisme qui veut invisibiliser les femmes et piétiner leur liberté. Sandrine Rousseau, embarrassée de s’être fait siffler, a prétendu que la sénatrice Laurence Rossignol l’avait également été, ce qui est faux. Sous-entendant que le vrai problème n’était pas ses propos mais, au sein de la manifestation, ces « femmes qui sifflaient d’autres femmes ». La parole de Sandrine Rousseau ne peut pas être sifflée puisqu’elle est l’incarnation du camp du bien et du camp des femmes. Si des femmes la sifflent, c’est certainement qu’elles sont des traîtres ou bien les instruments du patriarcat.

Si Élisabeth Badinter avait pris le micro à cette manifestation, elle aurait probablement été applaudie. Et Sandrine Rousseau en aurait certainement conclu que toutes ces Iraniennes et leurs soutiens féministes étaient des antirévolutionnaires, réactionnaires, islamophobes et fascistes.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, 3 octobre 2022

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