Alain Genestar
L'anniversaire d'un événement,
qu'il soit dramatique ou heureux, est toujours l'occasion
de montrer des images, à la manière d'un album de famille que l'on
feuillette pour se souvenir.
Dix ans après le 11-Septembre,
tous les journaux et magazines, toutes les télévisions du monde commémorent la
date des attentats les plus violents de l'histoire moderne, en publiant les
photographies et en rediffusant les vidéos de l'époque.
Revoir le célèbre document des
frères Naudet, Jules et Gédéon, qui ont filmé en direct l'attaque, puis
l'effondrement des tours du World Trade Center. Revoir cette série de
photographies prises de Brooklyn par Robert Clark à 9 h 03 au moment où le
deuxième avion fonçait vers la tour sud. Ce matin-là, il faisait beau à New
York.
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Photo: Deutsche Welle |
Le ciel est bleu. D'un bleu
intense. L'avion, en ombre noire, se détache au-dessus des buildings de la
pointe de Manhattan et trace dans le décor une trajectoire impeccable. Les
couleurs, l'éclairage, les lignes, les verticales des immeubles, le vol
horizontal de l'avion, les courbes des haubans du vieux pont suspendu au-dessus
de l'East River...
Tout est parfait. Et c'est
l'horreur.
D'où le trouble, en revoyant
cette scène fantastique, qui a fait dire au compositeur allemand
Karlheinz Stockhausen qu'il s'agissait là de "la plus grande
oeuvre d'art jamais produite". Ces propos firent scandale et, dix ans
après, dérangent encore par la brutalité du constat. Oui, il y a dans cette
scène incroyable, inimaginable, une dimension esthétique. Effroyablement
esthétique.
Comme l'on
peut dire d'un crime qu'il est parfait, les attentats du 11-Septembre
à New York ont cette perfection dans la représentation de l'horreur. Une
oeuvre, donc. Non pas de création. Mais une oeuvre de destruction immortalisée
sur la pellicule et dans la mémoire du numérique.
Alors, revisionner, dix ans
après, ces images, comme l'on revoit un film à grand spectacle ?
Je me souviens, dans mon
enfance, à la télévision, chaque soir du 11 novembre, l'une des chaînes
rediffusait l'adaptation du roman de Roland Dorgelès, Les Croix de bois
(Le Livre de poche, 2010), ou la même histoire avec d'autres
uniformes, A l'Ouest rien de nouveau (Le livre de poche, 1973),
tiré de l'oeuvre d'Erich-Maria Remarque. Combien de fois, le 6 juin, avons-nous
vu et revu Le Jour le plus long, superproduction de Darryl Zanuck,
au point d'en connaître par coeur les répliques. Dont celle-ci,
fameuse, du général Taylor, interprété à l'écran par Robert Mitchum, qui
arpentait Omaha Beach en hurlant : "Il y a deux types d'hommes sur
cette plage, ceux qui sont morts et ceux qui vont mourir !"
Il faut sauver le
soldat Ryan, de Steven Spielberg, a, depuis, renouvelé le genre. Mais
toujours ce besoin, rituel, de célébrer par l'image, dans une sorte
de communion cathodique, un grand événement, une guerre, une bataille. Sauf que
les images du 11-Septembre ne sont pas tirées d'un film de fiction. Les
victimes ne sont pas des acteurs qui jouent un rôle sur une plage, mais des
vivants qui meurent d'être là, dans les tours.
Ce que l'on voit, sur les
photos de Robert Clark, de Klaus Reisinger, d'Allan Tannenbaum, de James
Nachtwey ou dans le film des frères Naudet, c'est la mort qui
va frapper dans quelques secondes, quand l'avion
va atteindre la tour, ou la mort qui vient de frapper il y
a quelques secondes quand l'explosion, dans une boule de feu multicolore,
enflamme les étages, dégageant une fumée épaisse qui dessine un crêpe noir dans
le ciel bleu de New York, puis les victimes qui sautent, l'effondrement des
deux tours, l'une après l'autre, lentement, comme dans un film au ralenti, le
nuage de poussière qui obscurcit l'écran et cette vision fantomatique de
carcasses brisées de cathédrales dressées dans un geste de prière.
Ce que l'on voit sur ces
images, c'est la mort en direct, photogénique et cinématographique, ressentie
intimement avec d'autant plus de violence que l'oeuvre monumentale de
destruction est réelle.
Dès lors, dans le tumulte
actuel des images numériques, les unes chassant continuellement les
autres, montrer et repasser, lors d'un anniversaire, les
photographies et les vidéos du 11-Septembre, c'est entretenir la
mémoire. Afin que ces images vraies restent, dans la conscience de l'humanité,
à jamais inoubliables.
Alain Genestar, Directeur de
“Polka Magazine”, Le Monde, le 10-09-2011
Edition: JP
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