sábado, 12 de março de 2022

Michel Onfray : « Poutine est tout sauf fou »

Interrogé récemment par Sonia Mabrouk (CNews) et André Bercoff (Sud Radio), Michel Onfray a réagi à la situation en Ukraine. L’occasion pour lui de prendre à revers les évidences médiatiques et de rappeler que le manichéisme est l’ennemi de la pensée.


Poutine est-il fasciste ? Oui, selon Michel Onfray. Comment ? Michel Onfray cède aux sirènes du temps et hurle avec les loups ? Précisément pas. Ce n’est pas parce que les médias, les éditorialistes et les intellectuels en place utilisent le mot à toutes les sauces que le fascisme a disparu. « Cela fait 50 ans qu’on crie « au loup » et qu’on voit des fascistes partout, si bien que le mot ne veut plus rien dire. Or, en voilà un qui arrive. »Au micro de Sud-Radio, André Bercoff lui-même est interloqué et préfère voir en Poutine un autocrate, dans la longue tradition de la monarchie russe.

Pourtant, et si les historiens débattent encore de la possibilité d’étendre le fascisme au-delà des limites du mussolinisme, à bien regarder les catégories définitoires du fascisme, il faut reconnaître que Poutine coche beaucoup de cases : mépris de la démocratie et du libéralisme traditionnel, musellement de la presse, impérialisme, géopolitique de l’espace vital, dirigisme politique, culte du chef, exaltation du virilisme, anti-individualisme…« J’ai longtemps dit : n’utilisez pas ce mot-là, parce que le jour où il faudra l’utiliser, vous ne pourrez plus l’utiliser », déclare Michel Onfray avant d’ajouter : « Quand on estime que la démocratie ne fait pas la loi, que les parlements comptent pour rien, que ce sont les armées qui font la loi au profit de l’impérialisme, quand on tue des journalistes dans la rue, comment ça s’appelle ? »

Poser froidement ce diagnostic, est-ce défendre l’Europe maastrichtienne, l’OTAN et l’atlantisme ? Évidemment pas, à moins d’avoir fait du manichéisme l’horizon indépassable des relations internationales. « Il y a parfois des ferments de fascisme dans des pays de l’Ouest, notamment chez nous. Cette façon de fermer Russia Today, par exemple. Je pense que nous sommes dans une démocratie illibérale. Notre illibéralisme consiste à fermer des journaux quand ça ne nous convient pas, ou à ce qu’à Radio France, on invite des gens et pas d’autres », précise le philosophe.

Le tournant eurasiatique

Qu’est-ce qui est le plus infamant : déclarer rationnellement que le pouvoir poutinien est une forme de fascisme contemporain ou que Vladimir Poutine est « fou », comme le seraient par ailleurs les djihadistes islamistes et globalement tous les gens qui refusent le logiciel occidental ? « J’entends partout que Poutine est « fou », note Michel Onfray au micro d’André Bercoff. Comme ça, c’est simple. S’il est fou, l’affaire est réglée, ça dispense d’avoir à réfléchir. Il n’est pas fou du tout, Poutine. Poutine fait lire des philosophes comme Soloviev ou Berdiaev à ses hauts fonctionnaires, parce qu’il a ce projet impérialiste. »

Michel Onfray rappelle à juste titre que Poutine – de même qu’il a annoncé en 2007 dans son discours de Munich qu’il ne se laisserait plus humilier par l’OTAN et que la sécurité de son territoire n’était pas négociable - a annoncé son projet depuis plus d’une décennie, à une époque où cela n’intéressait pas les médias. A ce titre, il y a un vieux débat en Russie depuis le 19ème siècle qui oppose les occidentalistes et les slavophiles. Selon Michel Onfray, « les occidentalistes pensent qu’il faut regarder du côté de l’Ouest (notamment du côté des socialistes français comme Proudhon) et les slavophiles qui pensent qu’il faut aller chercher du côté de l’Est, de l’aristocratie et de l’orthodoxie russe. »

Poutine veut reconstituer une grande Russie appuyée sur les valeurs orthodoxes, le tout sur fond d’une vieille peur de l’encerclement. La Russie est emblématiquement une puissance tellurique et continentale, notamment face à la puissance « liquide » et insulaire représentée par les États-Unis. À ce titre, Poutine a longtemps tenté de trouver des alliances du côté européen. Et Michel Onfray de préciser à André Bercoff : « Il y a en fait deux Europe dans cette histoire. Le premier Poutine avait un portrait de Pierre le Grand dans son bureau, quand il était à Saint-Pétersbourg. Il était occidentaliste et il a fait des propositions à ce monde-là, lequel lui a dit d’aller se faire voir. Notre première erreur a été là. Nous avons refusé la main tendue de la Russie pour faire l’Europe gaullienne de l’Atlantique à l’Oural. Il aurait fallu la faire. Ce refus a entraîné le retournement de Poutine vers le monde slavophile, pour une alliance eurasienne. »

Des « valeurs » de l’Europe et de la guerre

Ce chemin d’une Europe des nations, d’une Europe politique, d’une Europe de la diplomatie réaliste, d’une Europe gaullienne, a été abandonné. « Nous on a fabriqué une Europe du fric et du business, du libéralisme et de la fin des nations. Je rappelle quand même qu’un quart des gestations pour autrui (GPA) de la planète se font en Ukraine. C’est exactement ce qui se joue entre ces deux civilisations. Ce sont deux Europe, finalement, qui s’opposent », analyse la figure de proue de Front populaire.

Poutine a-t-il encore envie de pactiser avec une Europe occidentale qu’il considère en état de décadence avancée ? « Macron nous fait savoir depuis qu’il est « président » de l’Europe que ses valeurs sont l’avortement et l’abolition de la peine de mort. Cela ne peut pas être un projet pour les slavophiles, cela paraît évident. » Au micro de Sonia Mabrouk, Michel Onfray ajoute : « Et on voit très bien d’ailleurs que de Georges Soros à BHL en passant par Hollande et Macron, tous ces gens qui défendent un même monde sont des gens qui estiment qu’il faut arracher l’Ukraine, la ramener du côté des occidentalistes. »

Ce côté des occidentalistes, la France y est de fait puisque son indépendance politique est compromise par son appartenance à l’Union européenne et son indépendance diplomatique compromise par son appartenance à l’OTAN. « Est-ce que quand Emmanuel Macron, intervenant avec un drapeau européen, puis un drapeau français, puis un drapeau ukrainien – ce faisant, il choisit son camp – , est-ce que ce Macron-là qui nous dit : « nous ne sommes pas en guerre » peut être crédible ?, interroge Michel Onfray. Bien sûr qu’on entre dans la guerre. » Et d’ajouter : « Comment est-ce qu’un chef d’État, à quelques semaines de sa réélection potentielle, peut décider d’une guerre pour un peuple qui va faire les frais de cette guerre ? Il faudrait un peu se souvenir de Jaurès… »

Si ce n’est pas la guerre, c’est la diplomatie, et qui dit diplomatie dit négociation. « Qu’avons-nous à apporter ? Il faut bien négocier sur la base de quelque chose. Qu’ont à donner l’Europe libérale du marché et la France de Macron ? Rien. Les européistes nous disent que cette guerre est le signe que l’Europe unie est en train de se constituer. Je dis Bravo…il faut attendre que le moteur soit coulé pour prétendre qu’on est en train de faire avancer le bateau. »

Le camp de la liberté ?

Sur le plateau de Sonia Mabrouk, le géopolitologue Gérard Vespierre, manifestement agacé par les propos de Michel Onfray, croit bon de rappeler que l’Europe représente « le camp de la liberté ». Sans surprise, ce n’est pas l’avis de Michel Onfray : « Oui, si vous voulez appeler ça la liberté… mais c’est la propagande qui nous dit que c’est le camp de la liberté pendant que de l’autre côté, etc., etc. C’est plus compliqué que ça. Là on est revenus à la télévision des années 1950 : la télévision en noir et blanc, il y a le bien, il y a le mal, il y a la liberté, il y a la dictature. »

Il ne fait aucun doute que la Russie est l’agresseur de l’Ukraine, pays souverain et reconnu comme tel depuis 1991, y compris par la Russie elle-même au moment des accords de Minsk. Mais la généalogie des tensions oblige à la nuance analytique. Et Michel Onfray de rappeler que la guerre en Ukraine court depuis 2014. « Cette journaliste dont Lavrov parle (Anne-Laure Bonnel, ndlr) nous a fait savoir qu’il y avait des exactions commises par l’armée ukrainienne au Donbass, elle a fait voir des images dans une émission, je crois que c’était celle de Pascal Praud. On n’a pas eu le détail du nom de cette journaliste, mais effectivement elle a disparu très vite parce que d’un seul coup, elle apparaissait dans une télévision en couleur, alors qu’on nous propose la télévision en noir et blanc. »

Alors on se lance dans des sanctions financières… Ce n’est pas vraiment un problème pour les Russes, cela fait des années qu’ils s’y préparent. Ils ont désindexé leur économie du dollar avec des réserves d’or, de monnaies asiatiques et d’énergie. « Nous pourrons reparler des porchers bretons ou du plein d’essence des Français précaires ou même de tous les Français quand Poutine décidera d’une cyber-guerre qui rendra inutilisables nos téléphones ou nos centrales nucléaires. Nous n’aurons pas des chars russes à Paris, mais nous n’aurons plus de système informatique », lance Michel Onfray.

Jurisprudence Freund-Huntington

Face à cela, un seul antidote : le réalisme. Cela implique de délaisser la moraline et les condamnations à peu de frais pour admettre la conflictualité des rapports internationaux et la réalité des blocs civilisationnels.

Récemment dans le Nouvel Obs, le politologue Olivier Roy expliquait voir dans le conflit russo-ukrainien la preuve de l’échec de la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington. Effectivement, dans Foreign Affairs, en 1993, Huntington déclarait : « Si le concept de civilisation est la clé, alors la probabilité de violence entre Russes et Ukrainiens devrait être basse. » En effet, l’Ukraine et la Russie appartenant à une même ère civilisationnelle, le conflit armé avait théoriquement peu de chance de se produire.

Oui mais voilà, ce n’est pas uniquement ce que dit Samuel Huntington. Il suffit de le lire dans le texte. Dans Le Choc des civilisations (1996), il écrit : « L'approche civilisationnelle met l'accent sur les liens culturels, personnels et historiques qui unissent la Russie et l'Ukraine et le mélange de Russes et d'Ukrainiens qui vivent dans les deux pays. Elle attire l'attention sur la frontière civilisationnelle qui sépare l'Ukraine orthodoxe à l'est de l'Ukraine uniate à l'ouest. Mearsheimer, conformément à la théorie « réaliste » de l'État en tant qu'entité unifiée et séparée, néglige totalement cette donnée historique ancienne. Tandis que l'approche étatique évoque la possibilité d'une guerre russo-ukrainienne, l'approche civilisationnelle montre qu'elle est peu vraisemblable. Au lieu de cela, il est possible que l'Ukraine se divise en deux. » C’est exactement ce à quoi nous assistons : une Ukraine coupée entre son versant occidentaliste et son versant russophile.

« Nous avons devant nous des gens qui estiment que Huntington disait vrai, quand nous nous disions en Europe qu’Huntington disait faux, notamment face à Francis Fukuyama. Il y a évidemment un choc des civilisations et il est évident qu’Huntington avait raison, mais comme depuis 25 ans, l’Europe fait la sourde oreille, nous ne nous sommes pas préparés, donc quand la guerre arrive, on fait des bougies, des concerts, des manifestations… », ironise Michel Onfray face à André Bercoff.

Autre réprouvé indispensable : Julien Freund, dont Michel Onfray – qui est probablement le seul intellectuel à citer son nom à la télévision française - fait l’éloge sur le plateau de CNews. « Si on veut faire de la géopolitique, on a des gens qui ont fait de la géopolitique, de la géostratégie et de la philosophie en même temps, par exemple Julien Freund, qui est un très grand penseur, résistant, gaulliste et philosophe du politique. »

Grand réaliste, Freund considère que la politique et la conflictualité sont inséparables. « Durant sa soutenance de thèse, on ne va pas rentrer dans le détail, mais à un moment donné Freund dit : ce n’est pas vous qui décidez si vous êtes en guerre ou si vous n’êtes pas en guerre, c’est celui qui vous attaque qui estime que la guerre est partie. » Une dure leçon de réel pour une Europe du libre-échange et du « doux commerce » cher à Montesquieu… et Macron.

Titre et Texte: Front Populaire, 11-3-2022 

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