Interrogé récemment par Sonia Mabrouk (CNews) et André Bercoff (Sud Radio), Michel Onfray a réagi à la situation en Ukraine. L’occasion pour lui de prendre à revers les évidences médiatiques et de rappeler que le manichéisme est l’ennemi de la pensée.
Pourtant, et si les historiens
débattent encore de la possibilité d’étendre le fascisme au-delà des limites du
mussolinisme, à bien regarder les catégories définitoires du fascisme, il faut
reconnaître que Poutine coche beaucoup de cases : mépris de la démocratie et du
libéralisme traditionnel, musellement de la presse, impérialisme, géopolitique
de l’espace vital, dirigisme politique, culte du chef, exaltation du virilisme,
anti-individualisme…« J’ai longtemps dit : n’utilisez pas ce mot-là, parce
que le jour où il faudra l’utiliser, vous ne pourrez plus l’utiliser »,
déclare Michel Onfray avant d’ajouter : « Quand on estime que la
démocratie ne fait pas la loi, que les parlements comptent pour rien, que ce
sont les armées qui font la loi au profit de l’impérialisme, quand on tue des
journalistes dans la rue, comment ça s’appelle ? »
Poser froidement ce
diagnostic, est-ce défendre l’Europe maastrichtienne, l’OTAN et l’atlantisme ?
Évidemment pas, à moins d’avoir fait du manichéisme l’horizon indépassable des
relations internationales. « Il y a parfois des ferments de fascisme
dans des pays de l’Ouest, notamment chez nous. Cette façon de fermer Russia
Today, par exemple. Je pense que nous sommes dans une démocratie illibérale.
Notre illibéralisme consiste à fermer des journaux quand ça ne nous convient
pas, ou à ce qu’à Radio France, on invite des gens et pas d’autres »,
précise le philosophe.
Le tournant eurasiatique
Qu’est-ce qui est le plus infamant : déclarer rationnellement que le pouvoir poutinien est une forme de fascisme contemporain ou que Vladimir Poutine est « fou », comme le seraient par ailleurs les djihadistes islamistes et globalement tous les gens qui refusent le logiciel occidental ? « J’entends partout que Poutine est « fou », note Michel Onfray au micro d’André Bercoff. Comme ça, c’est simple. S’il est fou, l’affaire est réglée, ça dispense d’avoir à réfléchir. Il n’est pas fou du tout, Poutine. Poutine fait lire des philosophes comme Soloviev ou Berdiaev à ses hauts fonctionnaires, parce qu’il a ce projet impérialiste. »
Michel Onfray rappelle à juste
titre que Poutine – de même qu’il a annoncé en 2007 dans son discours de Munich
qu’il ne se laisserait plus humilier par l’OTAN et que la sécurité de son
territoire n’était pas négociable - a annoncé son projet depuis plus d’une
décennie, à une époque où cela n’intéressait pas les médias. A ce titre, il y a
un vieux débat en Russie depuis le 19ème siècle qui oppose les occidentalistes
et les slavophiles. Selon Michel Onfray, « les occidentalistes pensent
qu’il faut regarder du côté de l’Ouest (notamment du côté des socialistes
français comme Proudhon) et les slavophiles qui pensent qu’il faut aller
chercher du côté de l’Est, de l’aristocratie et de l’orthodoxie russe. »
Poutine veut reconstituer une
grande Russie appuyée sur les valeurs orthodoxes, le tout sur fond d’une
vieille peur de l’encerclement. La Russie est emblématiquement une puissance
tellurique et continentale, notamment face à la puissance « liquide » et
insulaire représentée par les États-Unis. À ce titre, Poutine a longtemps tenté
de trouver des alliances du côté européen. Et Michel Onfray de préciser à André
Bercoff : « Il y a en fait deux Europe dans cette histoire. Le premier
Poutine avait un portrait de Pierre le Grand dans son bureau, quand il était à
Saint-Pétersbourg. Il était occidentaliste et il a fait des propositions à ce
monde-là, lequel lui a dit d’aller se faire voir. Notre première erreur a été là.
Nous avons refusé la main tendue de la Russie pour faire l’Europe gaullienne de
l’Atlantique à l’Oural. Il aurait fallu la faire. Ce refus a entraîné le
retournement de Poutine vers le monde slavophile, pour une alliance eurasienne.
»
Des « valeurs » de l’Europe
et de la guerre
Ce chemin d’une Europe des
nations, d’une Europe politique, d’une Europe de la diplomatie réaliste, d’une
Europe gaullienne, a été abandonné. « Nous on a fabriqué une Europe du
fric et du business, du libéralisme et de la fin des nations. Je rappelle quand
même qu’un quart des gestations pour autrui (GPA) de la planète se font en
Ukraine. C’est exactement ce qui se joue entre ces deux civilisations. Ce sont
deux Europe, finalement, qui s’opposent », analyse la figure de proue de
Front populaire.
Poutine a-t-il encore envie de
pactiser avec une Europe occidentale qu’il considère en état de décadence
avancée ? « Macron nous fait savoir depuis qu’il est « président » de
l’Europe que ses valeurs sont l’avortement et l’abolition de la peine de mort.
Cela ne peut pas être un projet pour les slavophiles, cela paraît évident. » Au
micro de Sonia Mabrouk, Michel Onfray ajoute : « Et on voit très bien
d’ailleurs que de Georges Soros à BHL en passant par Hollande et Macron, tous
ces gens qui défendent un même monde sont des gens qui estiment qu’il faut
arracher l’Ukraine, la ramener du côté des occidentalistes. »
Ce côté des occidentalistes,
la France y est de fait puisque son indépendance politique est compromise par
son appartenance à l’Union européenne et son indépendance diplomatique
compromise par son appartenance à l’OTAN. « Est-ce que quand Emmanuel
Macron, intervenant avec un drapeau européen, puis un drapeau français, puis un
drapeau ukrainien – ce faisant, il choisit son camp – , est-ce que ce Macron-là
qui nous dit : « nous ne sommes pas en guerre » peut être crédible ?, interroge
Michel Onfray. Bien sûr qu’on entre dans la guerre. » Et
d’ajouter : « Comment est-ce qu’un chef d’État, à quelques semaines de
sa réélection potentielle, peut décider d’une guerre pour un peuple qui va
faire les frais de cette guerre ? Il faudrait un peu se souvenir de Jaurès… »
Si ce n’est pas la guerre,
c’est la diplomatie, et qui dit diplomatie dit négociation. «
Qu’avons-nous à apporter ? Il faut bien négocier sur la base de quelque chose.
Qu’ont à donner l’Europe libérale du marché et la France de Macron ? Rien. Les
européistes nous disent que cette guerre est le signe que l’Europe unie est en
train de se constituer. Je dis Bravo…il faut attendre que le moteur soit coulé
pour prétendre qu’on est en train de faire avancer le bateau. »
Le camp de la liberté ?
Sur le plateau de Sonia
Mabrouk, le géopolitologue Gérard Vespierre, manifestement agacé par les propos
de Michel Onfray, croit bon de rappeler que l’Europe représente « le camp de la
liberté ». Sans surprise, ce n’est pas l’avis de Michel Onfray
: « Oui, si vous voulez appeler ça la liberté… mais c’est la propagande
qui nous dit que c’est le camp de la liberté pendant que de l’autre côté, etc.,
etc. C’est plus compliqué que ça. Là on est revenus à la télévision des années
1950 : la télévision en noir et blanc, il y a le bien, il y a le mal, il y a la
liberté, il y a la dictature. »
Il ne fait aucun doute que la
Russie est l’agresseur de l’Ukraine, pays souverain et reconnu comme tel depuis
1991, y compris par la Russie elle-même au moment des accords de Minsk. Mais la
généalogie des tensions oblige à la nuance analytique. Et Michel Onfray de
rappeler que la guerre en Ukraine court depuis 2014. « Cette
journaliste dont Lavrov parle (Anne-Laure Bonnel, ndlr) nous a fait savoir
qu’il y avait des exactions commises par l’armée ukrainienne au Donbass, elle a
fait voir des images dans une émission, je crois que c’était celle de Pascal
Praud. On n’a pas eu le détail du nom de cette journaliste, mais effectivement
elle a disparu très vite parce que d’un seul coup, elle apparaissait dans une
télévision en couleur, alors qu’on nous propose la télévision en noir et blanc.
»
Alors on se lance dans des
sanctions financières… Ce n’est pas vraiment un problème pour les Russes, cela
fait des années qu’ils s’y préparent. Ils ont désindexé leur économie du dollar
avec des réserves d’or, de monnaies asiatiques et d’énergie. « Nous pourrons
reparler des porchers bretons ou du plein d’essence des Français précaires ou
même de tous les Français quand Poutine décidera d’une cyber-guerre qui rendra
inutilisables nos téléphones ou nos centrales nucléaires. Nous n’aurons pas des
chars russes à Paris, mais nous n’aurons plus de système informatique »,
lance Michel Onfray.
Jurisprudence
Freund-Huntington
Face à cela, un seul antidote
: le réalisme. Cela implique de délaisser la moraline et les condamnations à
peu de frais pour admettre la conflictualité des rapports internationaux et la
réalité des blocs civilisationnels.
Récemment dans le Nouvel Obs,
le politologue Olivier Roy expliquait voir dans le conflit russo-ukrainien la
preuve de l’échec de la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington.
Effectivement, dans Foreign Affairs, en 1993, Huntington déclarait
: « Si le concept de civilisation est la clé, alors la probabilité de
violence entre Russes et Ukrainiens devrait être basse. » En effet,
l’Ukraine et la Russie appartenant à une même ère civilisationnelle, le conflit
armé avait théoriquement peu de chance de se produire.
Oui mais voilà, ce n’est pas
uniquement ce que dit Samuel Huntington. Il suffit de le lire dans le texte.
Dans Le Choc des civilisations (1996), il écrit : « L'approche
civilisationnelle met l'accent sur les liens culturels, personnels et
historiques qui unissent la Russie et l'Ukraine et le mélange de Russes et
d'Ukrainiens qui vivent dans les deux pays. Elle attire l'attention sur la
frontière civilisationnelle qui sépare l'Ukraine orthodoxe à l'est de l'Ukraine
uniate à l'ouest. Mearsheimer, conformément à la théorie « réaliste » de l'État
en tant qu'entité unifiée et séparée, néglige totalement cette donnée
historique ancienne. Tandis que l'approche étatique évoque la possibilité d'une
guerre russo-ukrainienne, l'approche civilisationnelle montre qu'elle est peu
vraisemblable. Au lieu de cela, il est possible que l'Ukraine se divise en
deux. » C’est exactement ce à quoi nous assistons : une Ukraine coupée
entre son versant occidentaliste et son versant russophile.
« Nous avons devant nous
des gens qui estiment que Huntington disait vrai, quand nous nous disions en
Europe qu’Huntington disait faux, notamment face à Francis Fukuyama. Il y a
évidemment un choc des civilisations et il est évident qu’Huntington avait
raison, mais comme depuis 25 ans, l’Europe fait la sourde oreille, nous ne nous
sommes pas préparés, donc quand la guerre arrive, on fait des bougies, des
concerts, des manifestations… », ironise Michel Onfray face à André
Bercoff.
Autre réprouvé indispensable :
Julien Freund, dont Michel Onfray – qui est probablement le seul intellectuel à
citer son nom à la télévision française - fait l’éloge sur le plateau de
CNews. « Si on veut faire de la géopolitique, on a des gens qui ont
fait de la géopolitique, de la géostratégie et de la philosophie en même temps,
par exemple Julien Freund, qui est un très grand penseur, résistant, gaulliste
et philosophe du politique. »
Grand réaliste, Freund
considère que la politique et la conflictualité sont inséparables. «
Durant sa soutenance de thèse, on ne va pas rentrer dans le détail, mais à un
moment donné Freund dit : ce n’est pas vous qui décidez si vous êtes en guerre
ou si vous n’êtes pas en guerre, c’est celui qui vous attaque qui estime que la
guerre est partie. » Une dure leçon de réel pour une Europe du
libre-échange et du « doux commerce » cher à Montesquieu… et Macron.
Titre et Texte: Front Populaire, 11-3-2022
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