Quand le néoféminisme réinvente la loi des
suspects
Elisabeth Lévy
Henry Cavill et Amy Adams dans
"Batman vs Superman", Etats-Unis 2015 ©SIPA 00748358_000026
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Après l’affaire Weinstein, la parole des femmes est devenue sacro-sainte. Dès lors, pourquoi s’embarrasser des principes du vieux monde que sont la présomption d’innocence et le respect des règles de la justice ?
Ils sont les œufs que l’on
casse pour faire les omelettes de l’histoire. Parmi les nombreux hommes qui, au
cours des derniers mois, ont vu leur existence ruinée par des accusations plus
ou moins étayées, on en évoquera deux : Jean-Baptiste Prévost,
34 ans, ancien président de l’UNEF et ex-étoile montante du Parti
socialiste, et Jean-Claude Arnault, 71 ans, que les médias ont surnommé le
« Weinstein suédois ». J’ignore s’ils se sont rendus coupables des
agissements qui leur sont prêtés ou reprochés. Mais tous deux ont déjà été
condamnés à la mort sociale par les médias, alors même qu’aucune procédure ne
vise Prévost et que Jean-Claude Arnault attend son procès en Suède.
Mort par médias
Le 28 novembre
2017, Le Monde publie une « Enquête sur un système de violences sexistes au sein del’UNEF » mettant nommément en cause Jean-Baptiste Prévost, qui a
présidé l’organisation de décembre 2007 à avril 2011, tout en
reconnaissant « que les faits rapportés ne relèvent pas a priori
d’une incrimination pénale » (mais au pire de la drague
lourdingue) ; en même temps, paraît une tribune d’anciennes militantes
anonymes qui dénoncent, sans nommer leurs agresseurs, des agressions sexuelles
et des viols. Le jeune homme qui a occupé divers postes de conseiller dans des
ministères des gouvernements Valls a alors trouvé refuge à l’ambassade de
France à Malte. Le 29 novembre, il reçoit sa lettre de licenciement.
Au Quai d’Orsay, on veut bien
recaser les copains, mais respecter la présomption d’innocence, faut pas
exagérer. Le 20 février, c’est au tour de Libé d’y aller
de sa une : « Viols, agressions, harcèlement : les témoignages qui accablent l’UNEF ». Or, bien que Prévost ne soit pas mis en cause
nommément par ces témoignages, sa photo figure en gros plan, avec en exergue,
cette citation charmante : « J’ai senti quelque chose de dur
contre mes fesses. Je lui demande d’arrêter. Et il me dit à
l’oreille : « si tu veux rester vierge, tu peux me sucer ou
je te prends par derrière ». » L’ennui, c’est que,
contrairement à ce que raconte la mise en page, avec une claire intention de
nuire, ce n’est pas à Prévost que ces propos sont attribués. On imagine combien
il est simple de trouver du travail, alors qu’il suffit de googliser son nom pour
tomber sur l’article. Certes, il pourrait gagner le procès en diffamation qu’il
a intenté à Libération, mais aucun tribunal ne lui rendra sa vie
gâchée.
Le cas de Jean-Claude Arnault
est encore plus douloureux, car lui encourt, en plus du bannissement, dix ans
de prison s’il est reconnu coupable des faits pour lesquels il se proclame
innocent. C’est déjà un homme brisé que je rencontre dans un restaurant
parisien. Il a néanmoins conservé son allure, et un vague petit air de Laurent
Terzieff qui a dû lui valoir quelques faveurs féminines. Arrivé en Suède à
l’âge de 20 ans, Jean-Claude Arnault est devenu, au cours des années 1970,
l’une des coqueluches de l’intelligentsia suédoise. Marié à la poétesse Katarina Frostenson, l’un des 18 membres de l’Académie
suédoise (qui décerne aussi le prix Nobel de littérature, ce qui, en
l’occurrence, n’est pas sans importance), il a animé un petit cercle
situationniste avant de créer Forum, un centre culturel et associatif, où il
était bon d’être vu pour les jeunes artistes désireux d’être repérés par la
critique. Et bien qu’il se défende aujourd’hui de toute influence sur son
épouse, on parlait parfois de lui comme du « 19e membre du
Nobel ». Bref, on l’imagine volontiers comme un beau parleur de gauche,
peut-être comme un type imbuvable. Pas vraiment comme un violeur.
« N’oubliez pas que
les pasteurs faisaient la loi »
Il se décrit comme un homme
galant, qui aime complimenter les femmes et les séduire, ce qui, précise-t-il,
n’a jamais été bien vu dans un pays qui derrière sa réputation de royaume de la
liberté sexuelle est resté terriblement luthérien. « N’oubliez pas
que les pasteurs faisaient la loi dans les villages et que la notion de honte
publique y était très forte. » Il ajoute que sa nationalité
française, qui a longtemps été un petit supplément de charme, est devenue, au
fil des années, plus lourde à porter.
Le 21 novembre, sa vie et
celle de son épouse basculent dans l’enfer. À six heures du matin, il est
réveillé par un coup de fil de Dagens Nyheter, le principal tabloïd
suédois, qui lui demande de commenter les informations qu’il s’apprête à publier. Dix-huit femmes
(autant que de membres de l’académie) l’accusent, décrivant des scènes
épouvantables de harcèlement, de tentatives de viol et de viols. Curieusement,
les médias français qui évoquent l’affaire, comme L’Express,
oublient de préciser que plus de la moitié des accusatrices sont anonymes.
Parmi celles qui témoignent à visage découvert, Arnault dit qu’il n’a jamais eu
aucune relation avec la plupart et reconnaît seulement une aventure passée avec
l’une d’elles. Du reste, après quatre mois d’enquête policière, seules les
accusations formulées par cette dernière ont été retenues par les juges, toutes
les autres ayant été balayées faute d’éléments probants ou parce que les faits
étaient prescrits.
Le « Weinstein
suédois »
Dans la foulée de la
publication de DN, Sara Danius, la nouvelle secrétaire perpétuelle
de l’Académie suédoise, affirme au cours d’une conférence de presse que le
Français a « harcelé et agressé des académiciennes, des femmes
d’académiciens, ainsi que certaines de leurs filles et des salariées de
l’Académie suédoise ». Elle commande une enquête à un avocat qui
fournit, d’après Arnault, 300 pages de ragots. Toujours d’après lui, Sara
Danius convoque également son épouse et la menace de divulguer le rapport de
l’avocat si elle refuse de démissionner de l’Académie.
En vingt-quatre heures,
Jean-Claude Arnault devient le « Weinstein suédois ». De fait, il a au
moins un point commun avec le producteur américain: tous ceux qui lui
mangeaient dans la main la veille et se détournent de lui avec des mines
outragées. Des milliers d’articles, tous à charge, paraissent avec sa photo et
celle de son épouse. Parmi ses amis, quelques-uns tentent de le soutenir, puis
jettent l’éponge pour ne pas connaître à leur tour le bannissement.
L’ombre du tribunal Metoo
Forum est fermé et il doit
littéralement fuir en France où, au moins, on ne le connaît pas. Si Arnault
est, comme il le dit, blanc comme neige, comment expliquer l’acharnement de ses
accusatrices ? Lui se dit victime par ricochet des luttes d’influence à
l’intérieur de l’Académie. Ce sont, dit-il, des proches du parti féministe
suédois – qui cherchent depuis des mois à leur nuire, à lui et son épouse – qui
ont tout manigancé.
En réalité, seul un tribunal
pourra faire la lumière sur cette ténébreuse affaire. Encore faut-il qu’il
puisse juger. Or, dans le climat passionné – et passablement haineux – qui
entoure l’affaire, même le bâtonnier de Stockholm, qui est une bâtonnière,
semble douter qu’il puisse bénéficier d’un procès serein et équitable. Les
partisans de la révolution Metoo n’ont que le mot justice aux lèvres. On
aimerait que leur main et leur plume tremblent quand ils ont le pouvoir de
détruire la vie d’hommes qui, quoi qu’ils en pensent, sont aussi des êtres
humains.
Titre et Texte: Elisabeth Lévy, Causeur,
15-8-2018
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