segunda-feira, 7 de novembro de 2022

[L’édito de Valérie Toranian] L’impossible débat sur l’immigration

Peut-on parler sérieusement d’immigration en France ? Ou bien sommes-nous condamnés au spectacle navrant des provocations, postures et hypocrisies en tout genre ?

Valérie Toranian


Le 3 novembre, le député LFI Carlos Martens Bilongo prend la parole pour demander au gouvernement ce qu’il compte faire au sujet du bateau de l’ONG SOS Méditerranée qui attend de pouvoir débarquer dans un port d’Europe les 234 migrants qu’il convoie. « Qu’il retourne en Afrique », lance depuis les bancs du RN, le député Grégoire de Fournas. Tollé général, suspension de séance. Grégoire de Fournas sera finalement sanctionné, vendredi 4 novembre, d’une « censure avec exclusion temporaire », soit l’interdiction de paraître au Palais-Bourbon pendant quinze jours de séances, et la privation de la moitié de son indemnité parlementaire pendant deux mois. 

La sanction a été prise à l’unanimité par le Bureau de l’Assemblée nationale. On ne saura jamais si ce « qu’il » retourne en Afrique désignait le bateau (ce qu’affirme Grégoire de Fournas) ou bien le député noir de la France insoumise. La sanction tient compte de cette ambiguïté puisque le Bureau national retient comme motif « la manifestation troublant l’ordre » (c’est le bazar) et non pas la « mise en cause personnelle qui interpelle un député » (c’est un propos raciste).

L’Assemblée devra-t-elle désormais sanctionner aussi sévèrement tout propos troublant l’ordre ? La France insoumise ne cesse de transformer les bancs de la représentation nationale en perpétuelle AG étudiante. La provocation et le blocage sont les deux mamelles de sa posture politique. Va-t-on punir tous ses débordements ?

Grégoire de Fournas est un député obsédé par le blocage des flux migratoires en provenance d’Afrique ce qu’attestent des déclarations antérieures. « Qu’il retourne en Afrique » est un propos cruel, inhumain, indigne. C’est aussi le « dérapage » que chacun attendait pour conforter ses positions : la France insoumise pour stigmatiser et criminaliser le vote Rassemblement national contre lequel elle prétend être le rempart ; la majorité Renaissance pour agiter une fois de plus la menace populiste et solliciter le Front républicain contre l’extrême droite raciste, thème dont elle aura encore besoin en 2027 en cas de duel, au second tour, entre son candidat et celui du Rassemblement national.

En attendant, le LFI Carlos Martens Bilongo a bien du mal à apparaître comme une incarnation des valeurs républicaines. On l’a vu, sur les réseaux sociaux, ami-ami avec Nabil Koskossy, l’organisateur de la manifestation qui a dégénéré en émeute antisémite à Sarcelles en 2014 (slogans « Mort aux Juifs » criés, magasins juifs pillés). On l’a vu soutenant l’association islamiste turque Millî Görüş qualifiée d’organisation contraire aux valeurs de la République par Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement. On l’a vu recevoir en juin dernier le soutien de la mosquée de Villiers-le-Bel, dans laquelle officiait Luqman Haider, condamné par le tribunal de Pontoise à 18 mois de prison ferme pour apologie du terrorisme…

« On peut légitimement craindre que cet épisode hautement médiatique donne un avant-goût du débat sur l’immigration qui aura lieu dans quelques mois à l’Assemblée. Invectives, anathèmes, injures et provocations. Le débat pourtant mériterait mieux. »

On peut légitimement craindre que cet épisode hautement médiatique donne un avant-goût du débat sur l’immigration qui aura lieu dans quelques mois à l’Assemblée. Invectives, anathèmes, injures et provocations. Le débat pourtant mériterait mieux. 65 % des Français estiment qu’il y a trop d’immigration en France (1). On peut difficilement les taxer tous de fascistes et racistes. La question du bateau Ocean Viking, et ses 234 migrants en quête d’un port pour débarquer, était une question pertinente. Que va faire la France ? Si l’Italie bloque ses ports et que Marseille accueille les bateaux de migrants, comment réagiront les autorités ?
Ces dernières années, la nationalité la plus présente, parmi les migrants en détresse dans les embarcations de fortune en Méditerranée, était la nationalité tunisienne. Les Tunisiens sont-ils vraiment les plus prioritaires pour le droit d’asile ? Peut-on aborder ces questions avec sang-froid ?
Dans un entretien au Monde, Gérald Darmanin a dévoilé quelques pistes de son futur projet de loi : créer un titre de séjour « métiers en tension », améliorer l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) en demandant notamment aux préfets de « rendre la vie impossible » aux personnes visées (suppression de prestations sociales et logement social) ; et enfin conditionner les titres de séjour à la réussite d’un examen de français.

Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration, qui défend cette dernière mesure depuis des années, souligne qu’elle est fondamentale dans la démarche d’intégration. « Il faut arrêter de se satisfaire d’une participation à des cours de français qui, jusqu’à présent, n’était sanctionnée par aucun examen. D’autant que pour les métiers en tension comme le bâtiment ou l’aide à la personne, savoir parler et lire le français est indispensable. Cette exigence sur la langue est primordiale : beaucoup de nos immigrés sont sous-qualifiés, ne savent ni lire ni écrire leur propre langue. L’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas conditionnent depuis longtemps l’obtention d’un titre de séjour à la maîtrise de la langue. »

« Si la classe politique n’est pas capable de changer de politique et d’abandonner ses présupposés idéologiques et ses postures médiatiques pour se consacrer sérieusement à la question migratoire, on sait d’avance qui en tirera avantage en 2027. »

Ces mesures seront-elles efficaces ? Combien d’étrangers concernés par les métiers en tension ? En ce qui concerne les OQTF, les non-dits demeurent. Qui aura le courage de dénoncer l’attitude de l’Algérie qui refuse de délivrer des visas consulaires pour les OQTF ? « Conditionner une partie de l’aide au développement accordée à l’Algérie, ou à d’autres pays, à la délivrance des laisser-passer consulaires demande une volonté politique », affirme Didier Leschi. Emmanuel Macron a abordé la question. Ira-t-il jusqu’au bout ? Comble du cynisme, l’Algérie refuse de délivrer ses visas au motif que ses ressortissants ont été « contaminés » par nos « mœurs » et que leur délinquance serait le fruit, en quelque sorte, d’une certaine « occidentalisation » !?

Quel gouvernement sera assez fort pour affronter une crise diplomatique avec l’Algérie en cas de renégociation des accords de 1968 qui permettent aux Algériens des procédures accélérées de régularisation et de regroupement familial ? Sans parler des sanctions contre les dirigeants algériens corrompus qui viennent profiter, au moment de leur retraite, de leurs « biens mal acquis » en France. Seront-ils poursuivis avec la même fermeté que l’ont été des chefs d’État africains ?
Si la classe politique, comme elle l’a fait en Suède ou au Danemark, n’est pas capable de changer de politique et d’abandonner ses présupposés idéologiques et ses postures médiatiques pour se consacrer sérieusement à la question migratoire, on sait d’avance qui en tirera avantage en 2027.

Titre et Texte: Valérie Toranian, Directrice de la Revue des Deux Mondes, 7 novembre 2022

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