terça-feira, 7 de março de 2023

Islamisme, la charge de Boualem Sansal

Il faut écouter la parole de Boualem Sansal. Sans peur, celui qui vit reclus en banlieue d’Alger met en garde la France « pleine d’islamistes, pires que les nôtres ». Il dénonce aussi l’Europe, cette « construction faible et fragile », qui s’est « accommodée de l’islamisme » et est en proie à l’entrisme des Frères musulmans.

Franz-Olivier Giesbert


Quand je pense à toutes les belles rencontres que j’ai pu faire en plus de cinquante ans de journalisme, le nom de Boualem Sansal est l’un des premiers qui me vient à l’esprit. C’est l’une des grandes figures du XXIe siècle, un père courage, un chevalier sans peur ni reproche qui combat pied à pied la haine, la bêtise et l’islamisme avec un sourire d’ange.

Opposant déclaré au régime, Boualem vit dans son Algérie natale avec son épouse Naziha («  pure  », «  bienveillante  » en arabe) mais il vient souvent en France, où il fait autorité depuis la publication de son premier roman, Le Serment des barbares en 1999. Il a connu la consécration avec Le Village de l’Allemand, succès international, en 2008, puis avec 2084 : la fin du monde, grand prix de l’Académie française, en 2015. Il est aussi l’auteur de plusieurs essais – on ne recommandera jamais assez le très décapant Gouverner au nom d’Allah: islamisation et soif du pouvoir dans le monde arabe, paru en 2013.

Quand vous demandez à Boualem Sansal pourquoi il s’est engagé à ce point contre l’islamisme, il répond avec humour : « J’ai suivi toutes les modes, yéyé, beatnik et hippie, mais celle-là, non, je n’ai pas pu y adhérer. » Iconoclaste, il nous met régulièrement face à nos contradictions en nous expliquant, comme ici, que les « pires islamistes sont en Europe, notamment en France ». Il ne supporte pas les agenouillements devant eux d’une partie de nos « élites » islamisées, c’est-àdire « collabos », et, on le verra, n’hésite pas à les nommer.

Toujours fidèle à ses idéaux de gauche, Boualem Sansal habite un modeste logis non loin de la Méditerranée et, si sulfureux, voire sacrilège soit-il, fait preuve d’une humilité confondante teintée, parfois, d’autodérision. Ses seules armes: sa foi en ses valeurs – la liberté, l’égalité, la fraternité – et une ironie que rien n’entamera jamais. Il n’a peur de rien, on vous le dit. Surtout pas de rire.

Revue des Deux Mondes – Vous avez été ingénieur, économiste, consultant, chef d’entreprise, fonctionnaire. Rien ne vous prédisposait à écrire. C’est en 1999, face à la montée de l’islamisme en Algérie et dans le monde, que vous vous êtes jeté en littérature avec Le Serment des barbares, qui a provoqué un grand choc. Vous voyez-vous d’abord comme un écrivain combattant, un éveilleur de consciences ?

Boualem Sansal Rien en effet ne me prédisposait à écrire. J’avais ma vie, elle suivait son cours. Soudain, en 1991, les islamistes ont remporté les élections législatives en Algérie. Auréolés de leurs ténèbres et de leurs foudres, ils ont, en un rien de temps, tout détruit. Le pouvoir militaire n’a pas été en reste, il a mis les moyens de l’État et le pétrole de la nation à son service et il a tout cassé. Les pauvres gens n’avaient plus que ce choix: le silence, la mort ou l’exil. Après quelques hésitations, j’ai choisi d’écrire et d’ajouter ma voix à celles des journalistes, intellectuels et militants des droits de l’homme qui tentaient d’éclairer le peuple. J’entendais aussi informer l’Europe de ce massacre à huis clos à deux pas de ses murs et l’alerter sur les dangers de l’islamisme, présent chez elle bien plus qu’elle ne le voyait ou ne le croyait, et bien décidé à porter le djihad chez elle dès qu’il aura mis la main sur l’Algérie pour en faire le camp de base des djihadistes du monde entier. Elle était La Mecque des révolutionnaires, disait-on au lendemain de l’indépendance en 1962, elle deviendra La Mecque des islamistes.

Trente ans ont passé. Aujourd’hui, qu’en est-il ?

On ne peut qu’admirer la prouesse du pouvoir algérien. Il a réussi à échapper aux procès pour crimes de guerre, voire pour génocide, et à insérer les islamistes dans son jeu, lesquels sont convaincus l’avoir, eux, enfermé dans le leur. Qui dit vrai ? Le maître des horloges ou le maître du temps ? Qui aujourd’hui, en Algérie ou ailleurs, ose les critiquer ? Personne, pas la France, pas Emmanuel Macron. Je donne toujours de la voix, mais sans résultat. L’Algérie est une mosquée blindée, l’Europe s’est accommodé de l’islamisme, et vénère déjà le véritable islam, jusqu’à trouver tous les charmes à l’Arabie de Mohammed ben Salman (MBS), au Qatar des Al-Thani, à l’Algérie des Tebboune.

Quel a été le déclic qui a changé votre vie ? Racontez…

Ce fut ce jour de 1990 où, en lisant l’appel au djihad du Front islamique du salut (FIS), j’ai tout à coup pris conscience que cette guerre n’était pas une guerre, pas même un djihad, mais un cancer qui rongeait le monde musulman, depuis l’avènement de l’islam, au VIIe siècle, et tous ses schismes et sous-schismes qui partaient dans tous les sens comme des bombes à fragmentation. Modérés ou agités, canoniques ou hérétiques, il y en a aujourd’hui pour toutes les névroses: sunni, chii, khariji, wahhabi, deobandi, ahmadi, takfiri, tablighi, etc.

À partir de là, vous n’avez jamais cru que l’Algérie s’en sortirait ?

Je n’ai pas dit ça. J’ai retrouvé l’espoir avec l’arrivée de Mohamed Boudiaf à la présidence de l’Algérie. Son assassinat, le 29 juin 1992, par un officier de sa garde, a été un choc terrible. Il était, je le crains, la dernière chance de ce pays de sortir de la dictature du sabre et du turban, comme dit Jean-François Colosimo à propos de la Turquie. En six mois à la tête notre pays, Boudiaf a su gagner la confiance du peuple, ce qui a alarmé l’état-major. Avec les attentats islamistes de Paris de 1995, puis de Londres et de Madrid, je suis retombé dans le désespoir, l’islamisme dévalait sur l’Europe, nous n’avions plus où nous réfugier. Le Hirak a été un autre espoir mais il s’est vite dégonflé, sous le double effet du Covid et de l’étranglement policier en 2019 et 2020.

Comment résumeriez-vous votre combat contre l’islamisme, aujourd’hui ?

Il n’y a de salut que dans son éradication totale mais c’est une guerre quasi impossible. L’éradiquer, c’est éradiquer en même temps l’islam, son onde porteuse, et la démocratie, son vecteur de pénétration en Europe. Cette guerre ne peut être faite que par les musulmans. Ils devront la mener partout, dans leur famille, dans leur quartier et chacun en lui-même. En sont-ils capables ? Accepteront-ils de sacrifier le soldat Islam pour se débarrasser de son ombre maléfique, l’islamisme ? Ils devront trancher, tôt ou tard.

Quels sont vos modèles en littérature ? Des auteurs engagés comme Soljenitsyne, Camus ou Steinbeck ?

Oui, des écrivains engagés de ce genre, qui mettent leur talent au service de belles causes, j’en ai trouvé dans toutes les littératures, dans tous les pays. Il y a ceux que vous citez mais il y a aussi Kateb Yacine, poète et romancier, l’auteur de Nedjma, qui occupe une place de choix dans mon Panthéon littéraire. Je les étudie pour acquérir un peu de leur talent et mieux servir la cause que je chéris: celle de notre tranquillité à venir, pour dire vite.

Paradoxalement, n’êtes-vous pas, vous l’Algérien, la meilleure incarnation de l’esprit français, celui de Montaigne, de Molière et de Voltaire?

La Fontaine nous a laissé une merveilleuse fable, Le Laboureur et ses enfants. Je crois que nous, les enfants francophones d’Afrique, ceux de ma génération et de celles qui l’ont précédée, l’avons lue et comprise. La langue et la culture françaises furent pour nous comme un cadeau du ciel, un magnifique champ à labourer pour vivre de ses fruits et nous en enrichir. Nous, les auteurs africains, éduqués dans le respect des héritages reçus, nous y sommes très attachés. Comment ne pas aimer cette culture qui a permis à des Montaigne, Voltaire, Hugo, Camus, Césaire, Glissant, Mukasonga, Kateb Yacine d’exister et de tant nous dire ? La France a un peu perdu cet esprit, hélas. Il y a eu une rupture qui reste à nommer. Elle est passée à autre chose, du côté de l’insignifiant, du clinquant et de la com’, elle cherche constamment du nouveau, comme un drogué réclame son vertige quotidien. Quel ennui! 

L’esprit français n’est plus ce qu’il était ?

Je ne sais si la France est entrée en décadence. Certains le disent, et non des moindres: Michel Onfray, Michel Houellebecq, Éric Zemmour le Berbère. Mais peut-être est-elle seulement perdue et ne sait comment retrouver son chemin. J’entends dire que tout serait de la faute de la mondialisation ou de l’Europe qui auraient provoqué la dissolution du pays. Il faudrait s’interroger aussi sur d’autres phénomènes: le vieillissement de la population, l’école qui fout le camp, l’islamisation rampante ou meurtrière, l’immigration en panne d’intégration, et puis aussi la gouvernance de votre pays, si tant est qu’il y en ait une.

La France ne tient plus son rang de grande puissance, capable de parler au monde, de promouvoir la paix, de secourir les opprimés. Elle a élu quatre hauts fonctionnaires (Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, François Hollande, Emmanuel Macron), qui à eux quatre ont réussi à faire de l’État le bras séculier de l’administration et du CAC40. Elle a aussi porté au pouvoir deux avocats (François Mitterrand et Nicolas Sarkozy) qui, au fond, n’ont jamais plaidé que pour eux-mêmes, avec les résultats que l’on sait. Passer en quelques décennies du général de Gaulle, personnage historique qui a participé à deux guerres mondiales victorieuses, à Macron, qui a réussi tous ses examens sauf Normale Sup mais qui n’a pas encore fait son service militaire, ça doit être dur à vivre…

Où et comment vivez-vous ?

Je ne dis plus que je vis en Algérie, ça ne correspond à aucune réalité. Avec la guerre et l’islamisation intensive j’ai perdu le contact avec le pays. Je ne sors plus de ma base, du côté d’Alger, dans une banlieue remplie de HLM bâclées et de baraques en perdition. J’y vis en reclus. La vue sur la mer me donne à rêver mais j’y trempe seulement les pieds.

Vous semblez inaltérable, indestructible. Ça ne doit pas être facile tous les jours. Avez-vous, parfois, des moments de doute ?

Le doute est un luxe pour les riches. Moi je n’ai pas les moyens de planer, je veux que mes pieds collent au sol pour résister aux vents. Je ne suis pas de ces vieux qui vivent de leurs rentes, j’ai la faiblesse de croire que je suis jeune et vieux à la fois: je me sens à tout instant d’hier, d’aujourd’hui et de demain. J’ai aussi cette chance que les difficultés me renforcent au lieu de m’abattre, c’est mon côté bricoleur acharné comme ont su en produire les pays ruinés par le socialisme, les pénuries et la corruption. Je ne cherche pas de solutions définitives qui coûtent cher, j’essaie de faire pour le mieux avec les moyens du bord.

Pourquoi restez-vous en Algérie, au milieu des islamistes ?

Je me pose la question. Si un jour je quitte l’Algérie, ce sera sûrement pour aller en France, si son administration y consent. Mais j’avoue que j’hésite, la France est pleine d’islamistes et ils sont pires que les nôtres. Les deux sont des fascistes, des totalitaires, sortis droit de l’enfer mais les vôtres sont plus affreux, eux ils sortent des latrines de l’enfer. Comment faites-vous, en France, pour les supporter ?

On se le demande… Il y a l’indifférence, la mollesse, le cynisme, la peur. Vous-même semblez ne pas avoir vraiment peur des islamistes. Pourquoi ?

Boualem Sansal Ils me terrifient mais comme disait l’autre à propos de la haine, je leur dis: « Vous n’aurez pas ma peur. » Elle est pour eux un encouragement, une soumission, une délicieuse érection. Moi, je veux les terroriser et les renvoyer en enfer, où est leur place. [Rire.]

Les islamistes n’ont-ils pas, malgré tout, moins d’ifluence en France qu’en Algérie ?

Non, à mon avis, c’est le contraire. En Algérie ils ont en face d’eux un pouvoir qui ne s’embarrasse d’aucune retenue quand il s’agit de foudroyer qui ose le contester. En France, les islamistes, soutenus par une partie de la population, sont libres comme l’air, on a même le sentiment qu’ils ont tous les droits et aucun devoir. Quel chemin parcouru en moins de cinquante ans! Chapeau, les islamistes! Inconnus au bataillon dans les années soixante-dix, les voilà maîtres après Dieu dans les banlieues, premiers influenceurs dans les municipalités, rois du halal ou du hadj. Depuis Macron et son « en même temps », on peut penser qu’ils vont bientôt entrer au gouvernement et constituer un groupe parlementaire redoutable. Qui a fait mieux en si peu de temps ?

Quelles sont, d’après vous, les places fortes de l’islamisme dans cette France où vous vous rendez si souvent ? L’université ? Les médias ? Les intellectuels ?

L’islamisme est comme les gaz, il occupe tout l’espace qui s’offre à lui. La phase gazeuse s’achève, ses adeptes occupent maintenant le terrain, ils ne sont plus seulement dans les mosquées, ils investissent la ville, la société civile, la politique, les médias. La voie est libre. Libération, Le Monde, Médiapart les aident autant qu’ils peuvent. Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation, ne veut leur opposer aucune résistance, tant ils représentent aujourd’hui un vrai pouvoir en France.

Il y a l’islamisme archaïque et agressif des banlieues et il y a aussi, c’est nouveau, l’islamisme de la ville, moderne et entreprenant. On sent l’influence des Frères musulmans, mais aussi de la culture managériale dans laquelle baignent les jeunes islamistes, propres sur eux, hyper bien formés, retors comme des poux.

Quelles sont les raisons de l’islamisation de plus en plus d’esprits, en France ? Est-ce seulement la culpabilité du descendant des colonisateurs ?

Si l’islamisation avance à grande vitesse en France, c’est d’abord parce que les islamistes et les prosélytes font montre d’une énergie débordante. Ils sont si pleins de zèle, ils font d’excellents pêcheurs d’âmes. Voyez le chrétien converti Karim al-Hanifi: c’est une armée de prédicateurs à lui tout seul! Je ne crois pas que la culpabilité par rapport à la colonisation soit une des causes principales de la progression de l’islam en France. Ceux qui sont dans cette culpabilité rejoignent plutôt les partis de gauche, d’extrême gauche surtout, « wokisés » à souhait, comme La France insoumise (LFI) ou les Verts. Une autre explication à cette progression est le mal-être sidéral dans lequel l’humanité se débat. Dans le monde moderne, les rapports humains n’ont plus rien d’humain, l’humanité a perdu sa chaleur.

Face à cette demande de sens, trois prestataires se présentent: 1) le marché, qui propose plus de nouveautés, plus de consommation, plus de crédit ; 2) les partis politiques, qui ne peuvent que promettre et trahir; 3) l’islam, qui a la réputation de réussir tout ce qu’il entreprend et qui est dans la tradition prophétique judéo-chrétienne. Ça rassure. La présence musulmane en Europe est ancienne, importante, pacifique. L’islam a un discours simple, fraternel, hospitalier, qui émeut les cœurs en souffrance. En fait, il est extraordinairement complexe et rébarbatif: il ne séduit que parce qu’il sait traduire son discours en émotions immédiates, slogans faciles à digérer, phrases creuses dans lesquelles chacun met ce qu’il aime.

Sans vouloir choquer, je dirais qu’il n’y pas d’islam sans islamisme ou qu’il n’y a d’islam que dans l’islamisme. Mahomet le premier l’avait compris: à La Mecque il était dans l’islam, de la poésie pure qui ne parle qu’au cœur; à Médine il était un islamiste déchaîné, il s’imposait par la ruse, l’épée et le butin de guerre à se partager. Le rendement a crû de manière exponentielle, les massacres aussi, des tribus juives notamment. Les musulmans d’aujourd’hui doivent le savoir, ils sont davantage les enfants de Médine que de La Mecque. C’est à Médine qu’il faut faire le pèlerinage. La Mecque et ses déambulations rêveuses, c’est juste une pompe à fric pour les princes d’Arabie. Voilà pourquoi les Frères musulmans recourent aux islamistes pour faire avancer leur islam, qu’ils présentent, les rusés, comme l’antidote de… l’islamisme.

Qu’avez-vous envie de dire à La France insoumise ?

Ce n’est pas une organisation solide, c’est un conglomérat éphémère et scabreux, qui ne tient que grâce à Jean-Luc Mélenchon, un tribun aux qualités de conquérant solitaire remarquables. Il sait trouver les mots et le ton pour embringuer les Français de la diversité, dont beaucoup sont musulmans et/ou islamistes. Il a fait des scores impressionnants aux trois dernières élections présidentielles, ils lui vaudront son inscription dans les tablettes de l’histoire. Les autres, militants et députés LFI, font de la figuration, ce sont ses « idiots utiles », comme disait Lénine, ils disparaîtront quand Mélenchon raccrochera les gants, ce qui ne saurait tarder. Comme vous me demandez de m’adresser à eux, je leur dirai : 1) l’insoumission n’est pas un programme de travail, surtout pour des gens qui sont dans la soumission totale au chef; 2) au lieu de hurler dans les travées du Palais-Bourbon, qu’ils fassent un congrès d’Épinay comme celui qui, en 1971, a porté Mitterrand à la tête du Parti socialiste, pour rassembler, puis reconstruire une vraie gauche ; 3) qu’ils fassent des économies et préparent leur retraite. [Rire.]

Avez-vous le sentiment que l’islamisme recule en France et en Algérie ? Ou, au contraire, progresse-t-il ?

L’islamisme est une secte, une confrérie, pas un parti politique qui recrute pour gagner des élections. Il ne veut pas le pouvoir institutionnel mais le pouvoir divin. Il y a le schéma classique qui fait du calife le représentant d’Allah sur terre et le chef de l’oumma, par-dessus les pays et leurs gouvernements. Et il y a aussi le schéma chiite iranien qui met l’ayatollah au-dessus du gouvernement. En France, on rêve d’un grand mufti pour orienter la république islamique. En nombre, les islamistes engagés se comptent en dizaines. S’ils veulent des troupes, ils vont les lever chez les agités, qu’ils renvoient sitôt la mission accomplie. Ils ne s’encombrent pas de soldats stupides qu’il faut encaserner, nourrir, surveiller. Voilà pourquoi l’échec ne les affecte pas, ils ne perdront jamais que des comparses qui devaient mourir pour les besoins de la martyrologie. Autour de Ben Laden gravitait un groupe d’une vingtaine de fidèles mais leur influence s’exerçait sur des millions de personnes à travers le monde. Un appel d’eux et des hordes de kamikazes anonymes se présentaient en piaffant pour avoir l’honneur de mourir en martyrs. C’est en cela que l’influence de l’islamisme est considérable, bien supérieure à celle de l’islam. Il réussit toujours à imposer ses vues car, en face, on cède quand on n’en peut plus!

Votre ennemi, est-ce l’islamisme ou tout simplement l’islam?

Dire que l’islamisme est l’ennemi, cela voudrait dire qu’on saurait le séparer de l’islam. Or, je le répète, ils sont intimement liés, ils s’appuient sur le même corpus, la même tradition, la même charia ; ils ont le même but : islamiser le monde. La différence est dans la méthode, l’islam avance à découvert et l’islamisme aussi, mais avec des intentions cachées. La véritable différence est dans le caractère des dirigeants. MBS est le chef de l’islam wahhabite, mais il se comporte comme un islamiste de bas étage. En France, l’imam Tareq Oubrou [photo] est un islamiste avéré mais, pour des raisons qui sont les siennes, il se comporte en bon musulman qui n’a rien à voir avec l’islamisme. Avec la taqîya et l’art du caméléon, on ne sait plus qui est qui. C’est pourquoi il est préférable, à mes yeux, de se garder et de l’islam et de l’islamisme.

Il y a bien une différence entre les deux. Quelle est-elle ?

On reconnaît l’arbre à ses fruits, mais là, franchement, je vois deux arbres qui ne donnent aucun fruit.

N’y a-t-il pas un islam dont vous vous sentez proche ? Le soufisme, par exemple ?

Je suis laïc et athée, je ne dérange aucun dieu. L’islam inspire ceux qui ne le connaissent pas, moi je le connais. Il y a bien sûr le soufisme, il est sympathique mais c’est une voie ésotérique, il faut être initié par un maître. Mais où sont les maîtres d’antan, Adawiyya, Hallaj, Ghazali, Rûmî, Abd El-Kader ? Se dire soufi aujourd’hui est juste une coquetterie, une mode d’artiste. L’islam est passionnant à étudier, c’est le système totalitaire le plus accompli du monde. Après Abraham, Moïse et Jésus, islamisés et rebaptisés Ibrahim, Moussa et Aïssa, l’islam a fait de Dieu un musulman nommé Allah, le rendant ainsi contingent, donc passible de la charia. La boucle est bouclée et on est dedans, en voie d’être rebaptisés à notre insu.

Allons, tout n’est pas à jeter dans l’islam !

Boualem Sansal L’islam est un bloc, c’est la parole d’Allah, on prend tout ou on laisse tout. On n’a pas le droit de saucissonner et de faire son délicat. Comment sortir de l’impasse ? C’est aux musulmans de se réapproprier le droit à l’ijtihad, l’interprétation du Coran, droit naturel que les califes leur ont enlevé. Qui saura rouvrir les portes de l’ijtihad et de la réforme ? L’islam de France osera-t-il se séparer de l’islam universel comme le christianisme anglican s’était séparé de l’Église catholique apostolique et romaine ? Ce blocage est la cause de la stagnation cruelle du monde musulman, qui attend toujours son Luther, son grand réformateur.

Dans l’un de vos romans les plus célèbres, Le Village de l’Allemand, vous avez comparé l’islamisme et le nazisme. Quels sont les points communs ?

Les idéologies totalitaires ont toutes un fond commun, une fantasmagorique dans laquelle on trouve un chef grandiose, une race pure, un ennemi mythique, des races impures à détruire, une légende en guise d’histoire officielle, une fascination pour la mort et, suprême atout, une langue magique qui a le pouvoir de bloquer dans le cerveau toute tentative de réflexion. Souvenez-vous du mufti de Jérusalem, Al Husseini, et du soutien actif qu’il a apporté au régime nazi en appelant l’oumma au djihad aux côtés de Hitler contre les ennemis jurés des musulmans, les colonisateurs français et britanniques: il y avait plus que de la politique et de la stratégie militaire dans cette collaboration! Hitler et le mufti parlaient de nazisme et d’islam comme de frères jumeaux qui se retrouvent. Le mot « islamiste » a été inventé plus tard pour exonérer l’islam de ses dérives et de ses histoires sombres. 

Il y a quand même une différence entre le nazisme et l’islamisme: la Shoah...

Oui, il y a la Shoah. Elle est une réalité dans le nazisme et une promesse dans l’islamisme. La différence est que le nazisme a mis la « science » allemande de l’organisation au service du crime pour qu’il soit parfait, alors que l’islamisme reste dans le bricolage du Moyen Âge. Il ne pourra jamais s’offrir une vraie shoah à la manière du IIIe Reich. Les mollahs d’Iran rêvent de vitrifier Israël avec leur bombe atomique mais ce faisant, ils vitrifieraient aussi la Palestine, son peuple et les lieux saints de l’islam. C’est un mauvais plan. Notre président Boumediene avait trouvé la solution : la démographie qui permettra de submerger pacifiquement les kouffars (Kouffar en français: «mécréant, incroyant, ingrat, infidèle). « Notre bombe, c’est le ventre de nos femmes », disait-il.

L’islamisme n’est-il pas devenu, dans nos deux pays, le principal vecteur de l’antisémitisme ? Comment l’expliquez-vous ?

L’antisémitisme islamiste est devenu une religion en soi. On est dans l’immanent et le transcendant. Le pauvre croyant y croit, bien obligé, comme il croit au paradis, à l’enfer, aux génies et au juge[1]ment dernier. Les imams pourraient lui expliquer qu’il n’a pas à croire tout ce qu’on lui raconte, mais eux-mêmes croient à tout ça, au paradis et au châtiment de la tombe.

Comment jugez-vous la politique de l’Union européenne par rapport à l’islam?

Elle n’y comprend rien. Restée sur l’idée que la reli[1]gion est une affaire personnelle, elle ne sait pas que l’islam a une mission divine, celle d’islamiser le monde et de le gouverner par la charia ; elle ignore qu’il est une coopérative appartenant à 49 pays musulmans très remontés contre l’Occident qui pervertit les valeurs islamiques avec tous ses vices; elle ne connaît pas l’oumma, qui compte 2 milliards d’âmes, et ne sait pas que l’entreprise de conquête se poursuit depuis quatorze siècles. Sa récente promotion du voile islamique est un signe, alléluia les Frères, l’Union vous a entendus, elle va se convertir et vous créer le poste de commissaire chargé de l’islamisation !

Face aux islamistes, pourquoi l’Europe a-t-elle peur ? Qu’est-ce qui la pousse à céder si souvent ? 

L’Europe est faible par nature, elle a peur de tout, en particulier de ce qu’elle sait ne pas pouvoir combattre : elle n’est pas un État souverain. Sans vrai gouvernement ni police ni armée pour la défendre, elle n’est qu’un conglomérat d’États qui ont des visions différentes du monde et des intérêts plutôt divergents, voire antagonistes. Leurs actions sont censées être coordonnées par une bureaucratie tentaculaire qui a atteint son niveau d’incompétence et qui est proche du coma cérébral. Chaque fois que de grands dangers menacent l’Europe, le Covid-19, les éruptions de terrorisme, les tsunamis de migrants, l’invasion russe, on découvre cette chose effarante qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion et, à la fin, pas d’avion du tout. L’Europe est une construction faible et fragile. Elle le sera de plus en plus en plus, car pour son malheur, elle se trouve, par l’his[1]toire et la géographie, au carrefour des conflits et des trafics internationaux. Elle est à refonder mais je ne crois pas qu’elle en ait les moyens et la volonté.

Pensez-vous, comme certains, qu’une partie de la bureaucratie européenne est infiltrée par les Frères musulmans ?

La Fraternité est une organisation ramassée, élitiste. N’y entre pas qui veut. Au fil des décennies elle s’est forgé un immense savoir dans la clandestinité, l’entrisme, l’infiltration, la manipulation. Elle a connu le pire dans le monde arabe et elle a vaincu. Abattre la vieille Europe démocratique est pour elle un jeu d’enfant. Les Frères musulmans n’agissent pas eux-mêmes, pas directement. Ils mobilisent qui ils veulent, l’opinion, la presse, les musulmans, les islamistes, les États arabes, les woke, les idiots utiles, les foules.

À vos yeux, les Frères musulmans, financés et appuyés par la Turquie et le Qatar, représentent-ils aujourd’hui le danger islamiste principal ?

Le danger, c’est d’abord la masse des islamistes radica[1]lisés, tentés par le terrorisme et le djihad, en lien avec les trafiquants en tout genre, eux-mêmes trafiquants en tout genre. N’étaient les absurdités de la justice et de ce que j’appelle « la démocratie des faibles », les ser[1]vices de sécurité français les auraient éradiqués depuis longtemps. Elle n’a que les OQTF (Acronyme d’«obligation de quiter le territoire français») pour se défendre et elle ne sait pas s’en servir. Les Frères musulmans, c’est autre chose, c’est l’aristocratie à la Tariq Ramadan. Ils donnent dans la prédication et la bienfaisance, où ils excellent, mais aussi, avec une expertise rare, dans la politique, la diplomatie, la géostratégie, la culture, la science, l’économie, la finance, le sport et le cinéma, la recherche fondamentale, la haute technologie, le lobbying, la manipulation psychologique et symbolique. Tout cela avec un objectif: affaiblir les ressorts de la société visée et l’abattre à son insu. Ils opèrent au plus haut niveau, les cabinets des commissaires, les députés, les organisations communautaires. Des influenceurs madrés comme George Soros et Klaus Schwab sont sans doute eux-mêmes influencés par la Fraternité. Sans parler des princes arabes, chefs d’État et oligarques arabo-turco-musulmans qui sont dans le filet, chacun affecté à une tâche précise. Quant à leurs homologues européens, les cadeaux amicaux, plu[1]tôt princiers, ouvrent assez bien leurs portes: au premier, on écoute ; au deuxième, on se convertit; au troisième, on signe.

Souvent, vous semblez très pessimiste sur l’issue de votre combat: « L’info tue l’info, avez-vous déclaré un jour. L’habitude est un sédatif puissant et la terreur un paralysant violent.» Allons, la bêtise et la haine ne gagnent pas toujours!

C’est vrai, je me force au pessimisme, il me tient éveillé. J’ai peur de l’optimisme, il me donne envie de dormir et de pas m’en faire. Albert Einstein, à qui on peut quand même se fier, a observé que deux choses étaient infinies: l’univers et la bêtise humaine. En ce qui concerne l’univers, il a précisé qu’il n’en avait pas encore la certitude absolue. Si je puis me permettre, je dirai ce que j’ai observé à mon petit niveau: il y a pire que la bêtise humaine, c’est l’intelligence humaine, ses dégâts sont colossaux.

Vous venez souvent en France. Qu’est-ce qui ne va pas dans notre pays ? De quoi manquons-nous ? De courage ? D’estime de soi ?

C’est tout le monde occidental qui s’abîme, ici en chute libre, là en vol plané et là en parachute. Notre humoriste binational, le grand Fellag, disait à propos des Algériens, qui le désespéraient tellement qu’il a choisi la valise et laissé son cercueil au bled: « Quand les Algériens sont au fond du puits, ils ne cherchent pas à remonter, ils creusent. » [Rire.] La France fait de même, elle creuse les déficits au lieu de les boucher, elle dilapide son énergie à inventer de nouvelles sources de déficits au lieu de la mettre dans le moteur du renouveau. Plutôt que de chercher des idées pour se sortir du trou, elle s’invente des raisons pour s’y enfoncer. Oui, la France manque de courage et d’estime de soi. Je ne vois que trois façons de les retrouver: 1) La guerre – que je ne souhaite pas – pour sor[1]tir les jeunes gens de leur ramollissement d’enfants gâtés et muscler leurs corps comme leurs cerveaux, et apprendre aux vieux les vertus du service civil, car c’est avec l’arrière que les guerres se gagnent; 2) un vrai président, qui ne regarde que l’horizon, la ligne bleue ou verte des Vosges, et n’ait rien à voir avec les petits banquiers, les rois fainéants ou les godelureaux; 3) la montagne où il faut aller, comme Zarathoustra, pour se remplir de lumière et de miel puis descendre dans la vallée pour en donner aux hommes afin que les sages retrouvent la joie et les pauvres le sourire, voire la richesse. « Ainsi commença le déclin de Zarathoustra », annonçait Nietzche. C’est aussi comme ça que le peuple devient grand, quand un personnage de haut vol lui a donné sa force et rendu la liberté. C’est ce qu’a fait de Gaulle. Il faut à la France un philosophe… ou un général. [Rire.]

Quels sont les livres qui ont le plus compté et comptent toujours le plus dans votre vie ?

La Bible, l’Ancien et le Nouveau Testament. C’est un drôle de choix pour l’athée que je suis, mais c’est à mes yeux le livre le plus intéressant du monde. Il y a tout dedans, du roman, de l’histoire, des contes, des récits de voyage, de la science-fiction, des rébus, de la poésie, et, c’est ma passion, des mathématiques. Sans oublier la religion. [Rire.] J’ajoute Le Prophète de Khalil Gibran et Don Quichotte de Cervantès. Ce sont des livres hors du temps, ils contiennent de l’éternité.

Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous quand vous ne serez plus de ce monde ?

Boualem Sansal épitaphe sur ma tombe : « Le de cujus a toute sa vie cru qu’il était souhaitable, possible même, d’empêcher les gens de mourir idiots. Il en est mort. »

Revue des Deux Mondes, mars 2023

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