Malgré ses tribunaux et ses exécutions,
#MeToo n’a pas réussi à dresser tous les mâles dominants. Quand on est une
femme, même nantie de quelques mèches blanches, mieux vaut ne pas se promener
dans certains quartiers ou marcher seule au bois de Vincennes. Expérience
vécue…
Raphaëlle Philli
ACTE 1
Assise sur un tronc d’arbre
dans une petite clairière, je lis tranquillement un livre, mes deux chiens
docile[1]ment couchés dans
l’herbe à mes pieds. Arrive à vélo un homme d’une quarantaine d’années, de
corpu[1]lence massive, chauve
et gueule cassée (visiblement, de nombreux coups lui ont irrémédiablement
défoncé le portrait). Sans dire un mot, en quelques secondes, il jette son vélo
à terre, se campe en face de moi sur ses deux jambes écartées, déboutonne sa
braguette, en sort son immonde érection et commence sa répu[1]gnante besogne
exhibitionniste. Je m’éloigne aussitôt à grandes enjambées et laisse ce minable
à sa pitoyable solitude. Mes chiens n’ont rien compris et ne me mani[1]festent aucune
solidarité canine ; j’en suis très peinée. Quelques minutes plus tard le
minable en question me dépasse à vélo, se retourne, crache dans ma direction
(heureusement il loupe sa cible) et me gratifie au passage d’un « sale
pite » (en français « sale pute », j’avais bien compris)
avant de disparaître.
ACTE 2
La loi des séries aimant parfois se rappeler à notre bon souvenir, mon deuxième séducteur du jour ne se fait pas attendre (à peine vingt minutes se sont écoulées, juste le temps qu’il faut pour calmer mon arythmie cardiaque et éponger mes sueurs froides). Tout en improvisant une solide marche nordique cette fois en direction de l’allée Royale, fréquentée à toute heure par des joggers et des promeneurs, j’entends quelqu’un m’interpeller juste derrière moi. Je ne réponds pas mais je force le pas, tout en retenant mon envie de courir. S’ensuit une bordée d’insultes en arabe mais je reconnais bien les sonorités des sempiternelles « j’ti parle sale chienne, sale pite (sic), j’vi t’défoncer, j’vi t’enculer, j’encule ta sœur, ta mère, ta fille », toute ma famille y passe.
Me voici enfin arrivée dans la
grande allée Royale où j’ai enfin le courage de me retourner et de lui faire
face. Ses yeux sont noirs et exorbités, il y a des trous à la place des dents
qui laissent dégouliner sa bave, il est visiblement alcoolisé (mais pas assez
pour l’empê[1]cher de me courir
après) et me menace en brandissant une bouteille de vin à moitié pleine. Un
promeneur courageux arrive vers moi en courant et me dit de m’éloigner, qu’il
va s’occuper de lui. Mais rien ne le calme, il continue à me suivre, ignore
complètement mon garde du corps improvisé après l’avoir quand même arrosé d’un
« sale pidé » (traduction : sale pédé) et essaie de me
fracasser avec sa bouteille sans arri[1]ver à m’atteindre.
Par chance la Garde montée
faisait justement une ronde et trois gendarmes déboulent au galop. Pas con le
minable, à l’évidence bien au courant des procédures et du comportement à
adopter face aux forces de l’ordre, il fait aussitôt profil bas, présente
poliment ses papiers, nie en bloc m’avoir agressée et se prête docilement à la
fouille au corps. Les gendarmes ne sont pas dupes et appellent à la rescousse
leurs collègues de la police. C’est maintenant trois policiers et trois
gendarmes qui prennent ma déposition ainsi que celle de mon témoin, le
promeneur. Je m’attends à ce que le minable soit embarqué au poste pour rendre
des comptes et qu’il reste un bon moment en garde à vue, mais pas du tout,
puisqu’il ne s’agit pas d’une agression « caractérisée »
(c’est-à-dire pas de traces, pas de sang, pas de sperme), il est libre de
repartir sur[1]le-champ conter
fleurette à la première femme qu’il croisera de nouveau sur son chemin.
Ainsi va la vie. Tant pis pour
l’injure, la menace, la peur au ventre, l’envie de vomir, la colère, le dégoût.
#MeToo n’a finalement pas changé grand-chose et les pervers n’ont pas trop à
s’inquiéter, il leur reste encore de beaux jours. Je rejoins mes copines au
Chalet du lac où nous sommes chaleureusement accueillies par notre Z, dans la
pure tradition de l’art courtois. Cinq cents participantes écoutent, le cœur
battant, l’hommage qu’il rend aux femmes, la reconnaissance qu’il porte envers
leur beauté, leur courage, leur intelligence, leur liberté, leur audace et sa
promesse de TOUJOURS les proteger. J ele crois sur parole.
Titre et Texte: Raphaëlle Philli, CAUSEUR, n° 100, avril 2022
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