Élisabeth Lévy
On n’arrête pas le progressisme. J’ai découvert il y a peu, au hasard d’un débat parlementaire dont je me fadais la retransmission, car je ne recule devant rien pour vous informer, que le gouvernement français comportait une ministre « en charge des questions LGBTQIA+ ». C’est ainsi qu’Élisabeth Moreno [photo], officiellement ministre déléguée chargée de « l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances », s’est présentée aux députés, ajoutant que l’action du gouvernement était guidée par « la volonté de tisser la toile d’une société plus protectrice ».
Je l’avoue, cette toile, qui
évoque furieusement celle des araignées ligotant le moucheron avant de le dévorer,
m’a fichu une peur bleue.
À part ça, j’aimerais savoir
qui s’occupe des droits des plantes, des pierres et des animaux mais je
m’égare. Madame Moreno n’est pas seulement la ministre des droits, ce serait
trop modeste, elle est la ministre du « droit aux droits »,
intransitivité au carré imaginée par Muray. Autrement dit, elle se comporte
comme l’ambassadrice auprès du gouvernement des minorités hargneuses qui
réclament à cor et à cri que leurs souffrances intimes et leurs désirs
impérieux fassent l’objet d’une reconnaissance institutionnelle et des
réparations afférentes.
Ainsi, il ne suffit pas que la
loi autorise les adultes à changer de sexe, il faut aussi que ce changement
soit érigé en norme anthropologique. En effet, pas question de considérer que
la discordance entre le sexe de naissance et le genre « ressenti »
(ce qu’on appelait autrefois la dysphorie de genre) relève d’une exception
pathologique, ce serait stigmatisant (s’il y a souffrance, c’est peut-être
qu’il y a maladie, non ?).
Pas de jaloux, Élisabeth
Moreno coche toutes les cases, se bat sur tous les fronts : elle est
« personnellement » favorable à la GPA, dont Emmanuel Macron a
promis que lui, président, elle ne serait jamais légalisée. Elle défend,
toujours contre l’avis du patron, l’allongement à quatorze semaines du délai
légal pour l’IVG. Elle veut imposer des quotas de femmes (et bientôt, on
suppose, de représentants de la diversité) dans les instances dirigeantes des
entreprises.
Enfin, preuve de son âme immaculée, elle a jugé « abjecte » la une de Causeur sur le Grand Remplacement et s’est félicitée que la Dilcrah1 l’ait signalée au procureur de la République, qui ne semble pas, à ce jour, s’en être spécialement ému.
Les Français qui n’avaient pas l’heur de connaître cette pétulante ministre (si ça se trouve, tous ne vivent pas les yeux rivés sur Twitter) ont pu combler cette lacune le 16 décembre grâce à « Face à Baba », l’émission dans laquelle Cyril Hanouna recevait Éric Zemmour en majesté.
La ministre, que l’animateur
appelle Élisabeth, avait absolument tenu à faire partie des contradicteurs
opposés au candidat – ce qui a encore, paraît-il, encoléré le président.
Peut-être manqué-je d’objectivité, mais j’avoue avoir pensé qu’en dépit de son
bon cœur ou peut-être à cause de lui, elle n’était pas vraiment au niveau.
Toute cette compassion finit par empêcher de penser.
Ainsi, face à un Zemmour
évoquant le lobby LGBT, elle a répété plusieurs fois que ce lobby n’existait
pas, visiblement incapable de comprendre la distinction entre la sexualité
comme élément de la vie concrète et la sexualité comme support d’une identité
politique. C’est un échange houleux sur les « enfants transgenres »
qui lui a finalement permis d’exposer sa philosophie.
Alors que Zemmour affirmait, à
raison me semble-t-il, qu’un enfant n’a pas à changer de sexe, elle s’est
exclamée : « Les gens sont ce qu’ils ressentent ! »
Cette sacralisation de la subjectivité individuelle, qui poussée à sa limite
interdit l’existence même d’une collectivité, est le cœur caché de l’idéologie
woke : chacun est ce qui lui plaît, tout le monde étant prié d’afficher le
plus grand respect pour les bizarreries individuelles. Le président a tort de
s’énerver : avec Moreno, qui comme Christiane Taubira, quoique dans un
registre moins littéraire, incarne le wokisme chic, on assiste à
l’externalisation du « en même temps ».
À lui, la lutte contre le
séparatisme, à elle l’encouragement à toutes les sécessions sociétales. Reste
un point qui me chiffonne. Madame Moreno a cité, en s’étranglant de rage, un
passage du dernier livre de Zemmour où il affirme que, « dans les
sociétés traditionnelles, les femmes sont le but et le butin ». Selon
elle, ce propos objective les femmes et revient peu ou prou à approuver les
violeurs et autres cogneurs. Bien entendu, il ne s’agit nullement chez Zemmour
d’une affirmation normative, mais d’une analyse des représentations et des
imaginaires. Il se trouve que la prédation légalisée a heureusement et depuis
longtemps disparu de nos sociétés. Cependant, jusque-là, les jeux de l’amour et
de la séduction avaient conservé l’empreinte inconsciente de cet antique
partage des rôles auquel nul n’est contraint de se conformer : il y a des
femmes chasseresses et c’est très bien.
Que, dans le registre des
fantasmes et des imaginaires, la femme reste souvent la proie et l’homme le
chasseur ne signifie évidemment pas qu’il ait le droit de la contraindre, mais
que c’est elle qui est précieuse, de sorte que, pour la conquérir, il ne faut
plus faire usage de la force mais déployer des trésors de gracieusetés. Les
hommes ne chassent plus avec leurs poings ou leurs fusils, mais à coups de
bouquets de fleurs et de déclarations langoureuses. Dans ces conditions,
j’avoue, au risque d’être ligotée pour mon bien dans une toile protectrice :
entre adultes consentants, il est bien agréable d’être le but et le butin.
1 Délégation interministérielle à la lutte
contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT.
Titre et Texte: Élisabeth
Lévy, CAUSEUR, nº 97, janvier 2022
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